« Au royaume d’Alexandre le Grand. La Macédoine antique » : une exposition au musée du Louvre

Par Aliénor Lavergne

Le patrimoine de la civilisation hellénique est particulièrement riche mais, avant la fin des années 1970, malgré les édifices archéologiques à ciel ouvert, les scientifiques ne s’intéressaient que très peu au royaume antique de Macédoine, en Grèce du Nord. Ce n’est qu’après la mise au jour du tombeau de Philippe II en 1977 que les fouilles ont repris et se sont multipliées, renouvelant ainsi la connaissance de la civilisation grecque antique. Certaines œuvres mises au jour et exposées au musée du Louvre d’octobre 2011 à janvier 2012 sont exceptionnellement bien préservées.

Un parcours organisé par sections thématiques nous est proposé au fil de l’exposition ; l’univers macédonien est exploré pour rendre compte des croyances et des arts adoptés par cette civilisation mais aussi de l’histoire des conquêtes qui ont permis le rayonnement de la culture hellénique. Une magnifique mosaïque ouvre l’exposition permettant de s’imprégner de l’art macédonien ; réalisée à partir de galets de rivières selon une technique antique, elle représente une chasse au lion dont les deux personnages seraient Alexandre Le Grand et son ami Cratère.

 

 Fouilles archéologiques

Les missions archéologiques

Fig. 1 : Mosaïque de la chasse au lion. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.
Fig. 1 : Mosaïque de la chasse au lion. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.

Dès la première salle, on est frappé par la grande richesse de la civilisation macédonienne. Une chronologie des découvertes, des plus récentes aux plus anciennes, est présentée. Le choix d’un tel ordre chronologique permet au visiteur d’entrer au cœur de la civilisation macédonienne par une approche archéologique, les objets antiques exhumés facilitant le retour vers le passé.

Fig. 2 : Couronne de feuilles de chêne en or. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.
Fig. 2 : Couronne de feuilles de chêne en or. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.

Ainsi, dans la sépulture d’Héraklès, fils d’Alexandre le Grand et de Barsine, mise au jour en 2008 dans l’ancienne capitale du royaume des Téménides à Aigai (Vergina), a été exhumée une superbe couronne de feuilles et de glands de chêne en or datant de la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.

Figure 1 : Mosaïque de la chasse au lion, dernier quart du IVe s. av. J.-C. Découverte à Pella, dans la maison du Dionysos (salle de banquet au nord-ouest de la cour sud). Galets de rivière et terre cuite (Ht. 184 cm, L. 339 cm). Pella, Musée archéologique.

Figure 2 : Couronne de feuilles de chêne en or, seconde moitié du IVe s. av. J.-C. Découverte à Vergina (Aigai), sanctuaire Sanctuaire
Sanctuaires
Lieu sacré, consacré par une religion.
dédié à Eukléia. (Diam. 16,5cm à 18,5cm ; poids 207,42 g). Vergina, fouilles de l’Université Aristote de Thessalonique.

 

Entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXIe siècle, différentes missions archéologiques sont menées et parcourent des régions jusqu’alors inexplorées. La première mission scientifique est réalisée par Léon Heuzey et Honoré Daumet en 1861 sous l’égide de Napoléon III. Des fragments ou des objets antiques provenant de différentes missions entre 1717 et 1861 sont présentés : face de lit funéraire (fin du IVe siècle av. J.-C.), ventail droit de porte de chambre funéraire, tombe dite « macédonienne » du début du IIIe siècle av. J.-C., stèles ou urnes funéraire… Beaucoup d’objets provenant de la tombe A de Korinos peuvent être observés notamment une lampe à huile (Ier siècle av. J.-C.), des fragments d’enduit peint ou une applique à tête de lion (fin IVe - début IIIe siècle av. J.-C.). Cet assemblage amène le visiteur au cœur des fouilles archéologiques et permet de se rendre compte de la difficulté de reconstituer l’histoire de la Macédoine antique à l’aide de preuves matérielles dispersées dans le temps et l’espace.

Le Service archéologique de l’Armée d’Orient

Dans la suite de l’exposition, certaines fouilles du Service archéologique de l’armée d’Orient sont présentées aux visiteurs. Ce service créé en 1915 par le général Maurice Sarrail comptait des archéologues, des militaires, des historiens,des architectes, des peintres, etc.

Fig. 3 : Ensemble funéraire de tombe masculine. © RMN / H. Lewandowski.
Fig. 3 : Ensemble funéraire de tombe masculine. © RMN / H. Lewandowski.

On peut observer des objets de petite taille, essentiellement en terre cuite mais aussi en bronze ou en calcaire, trouvés dans les tombes ou les nécropoles : figurines, lampe romaine, unguentarium (fiole fusiforme destinée à conserver du parfum ou des huiles), casques, cratères à colonnettes à figures noires mais aussi bijoux (colliers, spires, perles, bracelets, pendentifs) datant du VIIe au VIe siècle av. J.-C.

Figure 3 : Ensemble funéraire de la tombe masculine III (C) de Karabournaki : casque de type illyrien en bronze, anneau en or et cratère à colonnettes. Premier quart du Ve s. av. J.-C. Paris, musée du Louvre.

 

 Histoire de la Macédoine antique

Après l’histoire des fouilles, on peut suivre l’histoire de la Macédoine, de la Préhistoire à la formation du royaume en passant par l’âge du bronze récent, l’âge du fer ou l’époque archaïque. Des objets mycéniens émergent parallèlement à la céramique locale vers le XVe siècle av. J.-C. Des ustensiles en bronze, des vases en argile ou des parures, des perles et des boutons datant du XIe-VIIIe siècle av. J.-C. et provenant de la nécropole de Panagitsay sont exposés.

Fig. 4 : Casque en bronze avec masque en or. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.
Fig. 4 : Casque en bronze avec masque en or. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.

Des figurines de divinités en argile essentiellement et des colliers, épingles, couteaux, épistomions ou aryballes sphériques datent de l’époque dite archaïque. Les casques de type illyrien et les masques funéraires associés ornés de feuilles d’or attirent le visiteur. Retrouvés dans une sépulture masculine du nord de la Grèce et datés du milieu du Ve siècle av. J.-C., ils rappellent la tradition mycénienne. Ces pièces funéraires impressionnent le visiteur par leur usage dans les sépultures, les feuilles d’or recouvrant une partie ou la quasi-totalité du visage du défunt suivant leur degré de richesse.

Figure 4 : Casque de type illyrien en bronze avec masque en or découvert dans la nécropole de Sindos, tombe 115 (Ht. 22 cm). Vers 520 av. J.-C. Thessalonique, musée archéologique.

L’économie macédonienne est fondée sur l’élevage et l’agriculture ; la terre étant riche en matières premières, les Macédoniens peuvent subvenir à leurs besoins grâce à leurs seules ressources. La Macédoine développe alors une civilisation parallèle au monde grec antique et ce, jusqu’à la fin du VIe siècle av. J.-C. puis, lorsque la menace perse la force à sortir de son isolement, elle initie des conquêtes. La dynastie des Téménides débute au VIIe siècle av. J.-C. et conduit l’expansion du royaume à l’est au VIe siècle av. J.-C. Sous le règne de Philippe II, le royaume étend son hégémonie sur la Grèce classique. Alexandre Le Grand entreprend des conquêtes à l’est vers 335-325 av. J.-C. En 168 av. J.-C., le dernier roi est vaincu, la Macédoine devient alors une province romaine.

 

Autres thèmes développés

L’architecture macédonienne

Fig. 5 : Chapiteau de pilier à demi-colonnes. © RMN / H. Lewandowski.
Fig. 5 : Chapiteau de pilier à demi-colonnes. © RMN / H. Lewandowski.

Une grande salle s’ouvre à nous avec des pièces en argent et en or exposées. Les fouilles de 1988 dans la nécropole royale d’Aigai ont permis d’exhumer la parure d’or de la « Dame d’Aigai », datant de 500 av. J.-C. Quelques objets attirent l’attention, notamment une paire de cnémides (protections des jambes) en bronze datant du IVe siècle av. J.-C. Des façades décorées selon l’ordre ionique sont exposées ainsi que des fragments d’architecture divers, moulures ou décors en marbre. Une représentation des vestiges du Palais d’Aigai découvert en 1855 par Léon Heuzey orne le mur.

Figure 5 : Chapiteau de pilier à demi-colonnes ioniques adossées au grand ordre ionique en calcaire, avec quelques traces de stuc blanc. Seconde moitié du IVe s. av. J.-C. (Ht. 67 cm, L. 130 cm, ép. 66.5 cm). Paris, musée du Louvre.

L’expédition d’Alexandre Le Grand

Fig. 6 : Portrait d’Alexandre le Grand. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.
Fig. 6 : Portrait d’Alexandre le Grand. © Hellenic Ministry of Culture and Tourism / Archaeological Receipts Fund.

On peut suivre l’expédition d’Alexandre Le Grand dans sa conquête de l’Orient entre 335 et 325 av. J.-C. et l’exploration scientifique des contrées traversées. Lors de ce grand voyage, les distances parcourues étaient mesurées en nombre de pas, les coutumes des populations rencontrées étaient consignées. Une quantité considérable de richesses a afflué en Macédoine depuis les territoires conquis, que l’on retrouve dans les sépultures entre le IVe et le IIIe siècles av. J.-C.

Figure 6 : Portrait d’Alexandre III dit Alexande le Grand, découvert aux environs de Pella. Marbre ; IIIe s. av. J.-C. (Ht. 30 cm). Pella, musée archéologique.

La société macédonienne et la production artistique

Des objets de la période qui suit le règne Alexandre Le Grand sont ensuite exposés : monnaies en bronze, fragments de boucliers, stèles épigraphiques, ensembles de bijoux funéraires. La femme est davantage impliquée dans l’organisation des cultes et des rituels funéraires qu’auparavant. On peut observer des listes de contrats de vente ou d’achats de maisons gravées dans du marbre (IIIe siècle av. J.-C.), des ornements de lits de banquets, des ustensiles de cuisine (passoires, louches), des écritoires, des figurines et statuettes, des sculptures de marbre, des céramiques, des aryballes en verre opaque bleu foncé, des alabastres en albâtre. Les Macédoniens sont initiés aux cultes à mystères dans l’espoir d’une renaissance après la mort. La crémation est adoptée par l’élite. On peut contempler des couronnes en or à motif végétal qui étaient portées lors des cérémonies (concours dramatiques ou athlétiques) retrouvées dans des tombes.

La Macédoine sous l’Empire romain

L’exposition se poursuit avec des bustes, des visages sculptés dans le marbre, des bornes militaires de la Via Egnatia, l’une en pierre (IIe siècle av. J.-C.), l’autre en marbre (123-124 et 317-326 ap. J.-C.). Deux œuvres très originales attirent le visiteur : un relief votif représentant des oreilles, daté du Ier siècle av. J.-C., et un autre avec des empreintes de pieds, dédicaces d’esclaves affranchis, découverts à Thessalonique.

Fig. 7 : Pilier du portique des Incantadas.© RMN / H. Lewandowski.
Fig. 7 : Pilier du portique des Incantadas.© RMN / H. Lewandowski.

On peut admirer la colonnade antique de « l’Incantada » du IIer siècle ap. J.-C., décorée de piliers sculptés et dont une partie subsistait au cœur du quartier juif de Thessalonique, ainsi que des stèles funéraires à portraits du IIIe siècle ap. J.-C. Le nom « Incantada » semble venir d’une légende selon laquelle le roi thrace est changé en pierre en passant sous un portique Portique
Portiques
Galerie à arcades ou à colonnes.
ensorcelé par lui-même.

Figure 7 : Portique des Incantadas, pilier sculpté (face A : Ariane, face B : Dioscure ; Ht. 206 cm, L. 75 cm, P. 75 cm). Thessalonique, deuxième quart du IIIe s. ap. J.-C. Paris, musée du Louvre.

L’exposition se termine par un rappel de la genèse antique de la légende d’Alexandre Le Grand, descendant doublement de Zeus par son père Philippe et par sa mère Olympias et vénéré en Égypte à Alexandrie avant la fin du IVe siècle av. J.-C. Des médaillons d’Olympias y sont exposés.

 Conclusion

L’exposition permet de découvrir l’histoire de la Grèce du Nord, encore peu connue du public, et montre bien la richesse de la civilisation macédonienne en terme de production artistique. Le récent élan de prospections archéologiques a beaucoup apporté dans la compréhension des us et coutumes ainsi que de l’organisation de la société. La scénographie et les thèmes proposés au visiteur mettent en valeur les pièces exposées ; le choix de l’éclairage avec une salle plutôt sombre pour les objets funéraires et bien éclairée pour les vestiges architecturaux leur redonne vie. L’histoire des fouilles n’étant pas terminée, l’exhumation de nouvelles œuvres permettra d’en découvrir toujours un peu plus sur cette passionnante civilisation...

 

 Informations

Exposition organisée par le musée du Louvre et par le ministère de la Culture de la République hellénique, du 13 octobre 2011 au 16 janvier 2012.

Site web de l’exposition : alexandre-le-grand.louvre.fr

Crédits photographiques :

Agence photographique de la RMN (fig. 3, fig. 5, fig. 7) : www.photo.rmn.fr

 

 Bibliographie

  • MENDEL Gustave, Les travaux du service archéologique de l’armée française d’Orient, IN Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 62e année, n°1, 1918, p. 9-17.

Article disponible en ligne sur www.persee.fr

  • GINOUVÈS René, La Macédoine, de Philippe II à la Conquête romaine, CNRS, Paris, 1993.
  • HATZOPOULOS Miltiade, L’Etat macédonien antique : un nouveau visage, IN Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 141e année, n°1, 1997, p. 7-25.

Article disponible en ligne sur www.persee.fr

  • DESCAMPS Sophie, Les Antiquités grecques. Guide du visiteur, Musée du Louvre, Paris, 2002.
  • Dossier de presse de l’exposition Au royaume d’Alexandre Le Grand. La Macédoine antique au musée du Louvre, 2011.
  • Au royaume d’Alexandre Le Grand. La Macédoine antique, Catalogue de l’exposition présentée au musée du Louvre du 13 octobre 2011 au 16 janvier 2012, sous la dir. de Sophie Descamps-Lequine, Louvre éditions / Somogy éditions d’art, Paris, 2011.

Aliénor Lavergne
ENS 2ème année, 2012