L’archéologie funéraire III : du monde des morts au monde des vivants

Paradoxalement, l’archéologie qui s’attache au monde des morts nous renseigne aussi sur le monde des vivants, parfois davantage que sur les morts eux-mêmes. L’archéologie funéraire nous apprend beaucoup, mais les résultats ne pourront être obtenus qu’avec beaucoup de patience (il faut complètement dégager le squelette du sédiment dans lequel il est pris) et de précautions (il faut installer des planches pour circuler, sinon les allées et venues provoquent un tassement du sédiment qui risque de faire éclater les ossements).
Biologie des populations
L’identité du mort
L’étude des ossements permet d’abord de situer l’individu dans le temps : on peut en effet faire des datations absolues (carbone 14, racémisation des acides aminés) ou relatives (typochronologie et sériation des objets). Ces analyses permettent aussi de comprendre la chronologie d’occupation de la nécropole. On peut déterminer le sexe du défunt, mais il n’y a là aucune certitude absolue. En effet, le principal critère étant l’écartement du bassin chez les femmes, il suppose que celles-ci aient porté un enfant. Qu’en est-il alors des jeunes filles ou des femmes stériles ? On peut évaluer la taille et le poids de l’individu d’après la longueur et la courbure des ossements. Quant à l’âge, c’est une question plus délicate : on raisonne surtout sur les structures crâniennes, les dents (s’il s’agit de dents de lait, on sait que c’est un enfant), les épiphyses (il y a un phénomène d’ossification à la fin de l’adolescence). Mais ces informations sont relatives : on peut distinguer un enfant d’un adulte, et un adulte jeune d’un adulte âgé, mais sans aucune précision supplémentaire. Dans le cas d’un ensemble de sépultures, on peut reconstituer les groupes familiaux par l’étude de l’ADN.
Pathologies
Ill. : Squelette partiel dont l’une des vertèbres a été tranchée par un coup d’épée. (Ribemont-sur-Ancre, 2003).
Les morts subissent les mêmes examens que les vivants : rayons X, scanners, IRM, endoscopies… On peut ainsi repérer des pathologies traumatiques (blessures, fractures et mutilations) ou dégénératives (arthrose…) ; mais aussi des maladies congénitales, une malnutrition, certains parasites et virus. Mais certaines causes de la mort nous échappent totalement : un empoisonnement laisse souvent peu de trace.
Régime alimentaire
L’étude du contenu de l’estomac, des coprolithes et des abrasions dentaires nous renseignent sur ce que consommaient les populations. Il fait ajouter l’analyse isotopique des os, qui permet de définir le type de végétal consommé (isotopes du Carbone) et la place de l’individu dans le réseau trophique (isotopes de l’Azote).
Paléodémographie
Ill. : Un hangar protège le périmètre de fouilles d’éventuelles intempéries. Des structures métalliques empêchent de tasser la terre, sans quoi les ossements pourraient être endommagés. (Ribemont-sur-Ancre, 2003)
Le principe est d’obtenir des estimations démographiques de statistiques de mortalité à partir de la population de squelettes de sépultures isolées, collectives ou de cimetières.
Croissance naturelle
On établit une « table de vie », c’est-à-dire que l’on suit un groupe d’individus (« cohorte ») de leur naissance à leur mort, sous l’hypothèse d’une population stationnaire. On évalue ainsi le nombre et la proportion de décès entre l’âge x et l’âge x + 1, le nombre de survivants à l’âge x, le total des années à vivre après l’âge x, l’espérance de vie moyenne après l’âge x. Mais cette méthode pose un certain nombre de problèmes, tout d’abord dans l’échantillonnage de la population cible (sous-représentation infantile, nécessité de faire une sélection), l’hypothèse de stationnarité (taux de croissance nul), incertitude dans la détermination de l’âge et du sexe… La tendance est à un rajeunissement systématique, ce qui fausse en partie les données étudiées ?
Migration des populations
Il arrive que l’on puisse déterminer s’il y a eu transfert à un moment donné de la population étudiée, notamment par l’analyse isotopique des os. Le rapport entre deux isotopes d’un même élément chimique peut en effet varier fortement d’une région à une autre. On peut ainsi déduire la région d’origine d’un individu, car il porte en quelque sorte la marque du milieu où il a longtemps vécu dans ses os. C’est en particulier le cas des isotopes du Strontium3.
Informations culturelles
Le rituel funéraire
L’archéologie funéraire nous renseigne sur le rapport à la mort des populations passées, en particulier sur les pratiques funéraires : vêtement mortuaire, préparation du mort, position du mort dans la tombe (assis, allongé, plié sur le côté, lié, debout), position des membres et de la tête, orientation (du squelette ou de la tête). Il faut ajouter ce qui accompagne le mort : objets (parure, céramiques, armes, outils, statuettes, maquettes), individus (femmes, serviteurs, animaux familiers, chevaux). Enfin on peut trouver les restes d’offrandes funéraires.
Place du mort dans la société
Ill. : Reconstitution graphique de ce qui a été interprété comme un trophée érigé par des Celtes avec les corps décapités de leurs ennemis. (Ribemont-sur-Ancre, 2003)
C’est une question très délicate que de déterminer le rang social du mort. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. On peut aussi tirer des conclusions sur les échanges culturels entre différents peuples. Certains objets dans la tombe peuvent être d’importation, et surtout on peut retrouver des sépultures d’individus étrangers : soit ils sont enterrés avec les coutumes de leur pays d’origine (dans le cas d’une communauté), soit avec leur matériel qui témoigne de leur provenance géographique (artisans itinérants…).
Niveau technique
L’étude des objets manufacturés qu’on retrouve dans les tombes permet d’en savoir davantage sur les techniques de fabrication Techniques de fabrication et de finition utilisées par les populations passées. Mais c’est le cas aussi de l’étude du squelette : on peut en effet en déduire certaines conclusions sur les interventions chirurgicales (réductions de fracture, trépanation…).
Lire les articles précédents :
- L’archéologie funéraire I : le mort et sa sépulture
- L’archéologie funéraire II : textes et iconographie
Sylvain PERROT
(élève de 1e année, 2004)