GISACUM, ville sanctuaire gallo-romaine. Journée d’étude au Vieil-Évreux, 31 mars 2010.
À condition de ne craindre ni le vent ni les brusques grains, la visite du site archéologique du Vieil-Évreux est une très bonne idée pour remplir un mercredi de mars et s’aérer la tête, à une heure de train de Paris...
Également connu sous le nom de « Gisacum », d’après deux inscriptions découvertes au XIXe siècle, le sanctuaire
Sanctuaire
Sanctuaires
Lieu sacré, consacré par une religion.
du Vieil-Évreux, est fondé sans doute à la fin du Ier siècle av. J.-C. Quelques années plus tôt s’était installé, 6 km à l’est, Mediolanum Aulercorum, chef-lieu de cité des Aulerques Eburovices.
Valorisation du site
Le site de Gisacum accueille, depuis 2002, les visiteurs sous la forme d’un jardin archéologique qui reconstitue, au cours d’une promenade sur le plateau du Vieil-Évreux, le parcours des baigneurs romains à travers les thermes en partie conservés.
Autour de cet ensemble, une réserve archéologique a pu être progressivement constituée par le Département de l’Eure ; elle fait l’objet de prospections géophysiques et de fouilles. En 2005 enfin, le Centre d’interprétation archéologique a été inauguré : il propose une exposition permanente sur la « ville sanctuaire gallo-romaine », accueille le grand public comme le public scolaire, organise des Journées romaines l’été...
La Mission archéologique départementale de l’Eure a ainsi pour vocation de développer à la fois la recherche sur Gisacum en s’appuyant sur le volume important des archives disponibles et sur son travail de terrain depuis 1996, la conservation et la mise en valeur du site.
Le Centre d’interprétation archéologique, installé dans une grange d’architecture normande traditionnelle, présente une exposition dont le parcours thématique évoque tour à tour la topographie Topographie Représentation des formes d’un terrain sur un plan. particulière de Gisacum, les pratiques cultuelles liées au sanctuaire, la « mise en scène » de l’eau sur le site, les lieux de loisirs que constituent les thermes et le théâtre, la vie quotidienne dont témoigne le matériel de fouille et la redécouverte du Vieil-Évreux par les chercheurs depuis le XIXe siècle.
Histoire et vestiges de Gisacum
Gisacum frappe d’abord par son urbanisme très particulier : l’ensemble du site s’organise en une « couronne bâtie » bordée d’un portique
Portique
Portiques
Galerie à arcades ou à colonnes.
et qui forme un polygone de 5,6 km de long. Elle entoure un espace en grande partie vide, si ce n’est que c’est là que de grands monuments publics ont été édifiés. Toutes les maisons, sont ainsi reléguées à la périphérie du site (de même que les installations artisanales) ; elles ont leurs façades alignées et tournées vers le grand sanctuaire, établi en bonne place au centre du polygone.
Avec le chef-lieu de cité Mediolanum Aulercorum, Gisacum forme donc une sorte de ville double, mais le Vieil-Évreux se distingue en ce qu’il constitue une petite agglomération concentrée autour d’un grand sanctuaire, démesuré, même à l’échelle de la région. Celui-ci s’étend en effet sur plus de 6 hectares, ce qui en fait l’un des plus grands de la Gaule du nord.
L’enjeu de la recherche est ici de comprendre à quoi correspond cet urbanisme si particulier, qui sépare nettement monuments publics et constructions privées au profit des premiers : la « ville-sanctuaire » est-elle essentiellement une ville-hôtel destinée à accueillir les pèlerins ? L’habitat a encore trop peu été fouillé pour tenter d’apporter une réponse à cette question.
Quoi qu’il en soit, avant d’atteindre son apogée au IIIe s. apr. J.-C., Gisacum connaît deux grandes phases de développement : une ville commence à s’établir vers la fin du Ier s. av. J.-C, étape à laquelle on distingue éventuellement un forum installé près d’un quartier d’habitat, au centre du site ; ensuite, dans la première moitié du IIe s. apr. J.-C., débute une phase de monumentalisation qui a donné aux lieux leur envergure. Les grands monuments sont isolés des zones habitées, le sanctuaire, composé de trois cellae, est reconstruit dans des proportions bien plus importantes. Il est abandonné vers le milieu du IIIe siècle, comme l’atteste un dépôt de « fermeture » du sanctuaire.
Le grand sanctuaire, dédié à une triade dont l’on pense qu’elle comprenait au moins les dieux Apollon et Jupiter (d’après un dépôt de statues de bronze découvert dans le temple en 1840), est en partie conservé, en particulier la cella
Cella
En archéologie, salle centrale de temple, équivalent au grec naos, c’est l’endroit le plus sacré du sanctuaire, on y place la représentation du dieu, seuls les prêtres y pénètrent.
centrale (arrière-plan de la photo). L’édifice, dont l’on ne connaît pas le commanditaire, a sans doute également joué un rôle dans la célébration du culte impérial.
Photo de gauche : Les élévations visibles du sanctuaire du IIIe siècle (fouillé depuis 2005), sont importantes. Un grand chapiteau abrite le chantier de la pluie et du vent.
Ces vestiges sont particulièrement intéressants car les traces des constructions sont encore visibles sous les élévations du IIIe siècle.
Elévations qui permettent une observation privilégiée des techniques de construction employées, des « bricolages » et des défauts de fabrication.
Photo de gauche : « Bricolage » : mortier très grossier, peu de moellons
Moellon
Moellons
Petite pierre taillée pour la construction des murs, ici ils sont de forme tronconique.
, sillons retracés pour faire croire à l’utilisation de moellons réguliers, plus noble.
Photo centrale : Détail du chaînage d’angle de la cella principale. Ici la construction est plus soignée, des moellons taillés et des briques ont été utilisés.
Photo de droite : Clou antique resté fiché dans le mur : témoignage de la technique du cordeau employée pour aligner les murs.
Les thermes de Gisacum, construits au sud-ouest de la ville, sont le monument le mieux connu du site, grâce aux fouilles menées de 1996 à 2000, avant l’aménagement du Jardin archéologique.
Édifiés entre 100 et 150 apr. J.-C., ils ont connu quatre grandes phases de construction, développées dès l’origine selon un plan parfaitement symétrique. Les proportions très importantes de la palestre
Palestre
Palestres
Dans l’Antiquité, lieu où se pratiquaient la gymnastique, la lutte, ..., cour des thermes.
constituent également une originalité.
Le bâtiment est abandonné vers le milieu du IIIe siècle, vraisemblablement en pleine phase d’embellissement, comme l’atteste la découverte de machines de sciage encore en place, et de fondations qui n’ont jamais supporté de murs.
Les visiteurs sont désormais invités, dans la partie ouest des thermes, à suivre le parcours du baigneur romain ; des panneaux explicatifs commentent les lieux pas à pas et une bande sonore reconstitue l’atmosphère qui devait régner dans les salles. La partie orientale des thermes laisse les vestiges apparents (restaurés selon les techniques de construction d’origine, mais de façon réversible) afin de présenter le fonctionnement technique de l’édifice thermal.
Conclusion
La visite du Vieil-Évreux / « Gisacum » est ainsi particulièrement recommandée, dans la mesure où y sont intimement associées recherche archéologique et mise en valeur du site. Le curieux peut venir se promener, parcourir les thermes, visiter le centre d’interprétation et le chantier de fouilles. Quant à l’étudiant bénévole, il peut se joindre aux dites fouilles, l’été. Gisacum illustre une alliance réussie de la science et de la pédagogie, car un effort est fait non seulement pour expliquer le site d’après les vestiges, mais aussi pour sensibiliser le public aux pratiques, méthodes et objectifs archéologiques. Enfin, nous avons essayé de le montrer, le site est source d’interrogations encore nombreuses et passionnantes, en matière de peuplement, d’urbanisme, de rites religieux, de choix de construction...
Coordonnées
Gisacum, centre d’interprétation et jardin archéologique :
8 rue des thermes, 27930 Le Vieil-Évreux.
Tél. : 02 32 31 94 78
site internet : présentation sur le site du Conseil Général de l’Eure
Bibliographie
proposée par le Centre d’interprétation
2006 - Gisacum, ville sanctuaire gallo-romaine, Catalogue de l’exposition permanente du Centre d’interprétation archéologique du site gallo-romain de Gisacum (Le Vieil-Évreux), Département de l’Eure, 2006.
2005 - M. Dabas, L. Guyard et T. Lepert « Gisacum revisité », Dossiers d’Archéologie, n° 308 (La prospection géophysique), nov. 2005, p. 52-61.
2004 - S. Bertaudière, L. Guyard, « Un monument des eaux en bois énigmatique ! » Dossiers d’Archéologie, n° 295 (Fontaines et nymphées en Gaule romaine), juillet-août 2004, p. 60-69.
2004 - « Lire le passé eu présent au Vieil-Évreux. Gisacum à l’épreuve des méthodes de l’archéologie. » Catalogue d’exposition. Département de l’Eure.
1999 - L. Guyard, T. Lepert « Renaissance d’une ville sanctuaire gallo-romaine : le Vieil-Évreux », Archéologia, n° 359, septembre, p.20-29.
1999 - L. Aubry, C. David, M. Dabas « Le site du Vieil-Évreux, 4 ans de prospections géophysiques », XYZ, n° 79, 2e trim., p. 92-95.
1996 - D. Cliquet, P. Eudier, A. Étienne, P. Blaszkievwicz, V. Brunet, J.-C. Moesgaard, E. Poirel, « Le Vieil-Évreux, un vaste site gallo-romain », Association Archéo 27, Conseil Général de l’Eure, Évreux.
1993 - D. Cliquet, N. Gauthier, M. Remy-Watté, A. Étienne, F. Gerber, J.-C. Moesgaard, J. Le Maho, « L’Eure », Carte archéologique de la Gaule, 27.
1988 - S. et J.-P. Boucher, « Bronzes antiques. Statuaires et inscriptions. », Catalogue du Musée d’Évreux.
1943 - M. Baudot, « Le problème des ruines au Vieil-Évreux », Gallia, T. 1, fasc. 2, p. 192-206.
1938 - M. Baudot, « Historique des fouilles d’Alexis Robillard et de Théodose Bonnin (1835-1842) », Bulletin de la Société normande d’études préhistoriques, T. XXXI, p. 11-43.
1925 - J. Mathiere, « La civitas des Aulerci Eburovices », Évreux, Drouet.
1921 - E. Espérandieu, « Les fouilles du Vieil-Évreux, Deuxième année » Bulletin de la Société française des fouilles archéologiques.
1913 - E. Espérandieu, « Les fouilles du Vieil-Évreux, Premier rapport », Bulletin de la Société française des fouilles archéologiques, p. 5-80.
1860 - T. Bonnin, « Antiquités gallo-romaines des Eburoviques », Paris.
1845 - T. Bonnin,« Antiquités gallo-romaines du Vieil-Évreux », Évreux.
1827 - F. Rever, « Mémoire sur les ruines du Vieil-Évreux », département de l’Eure, Évreux.
Alice ARNAULT
( élève 3e année, 2010)