La restauration architecturale

Par Mathilde Carrive

Jean-Pierre Adam, pour introduire le chapitre réservé à la restauration architecturale, dans l’ouvrage général La Conservation en archéologie, explique que si la fouille archéologique est considérée avant tout comme une démarche de recherche, cet aspect, aussi essentiel soit-il, ne doit pas être occulté par une autre nécessité qu’est la présentation des découvertes au plus grand nombre. Or cela suppose la possibilité de voir et de comprendre le monument où l’ensemble monumental révélé, chose qui n’est souvent réalisable qu’en passant par un travail de restauration.

Le fait de réserver un tel traitement à certaines réalisations humaines que l’on estime de nature à devoir durer pour les générations futures, est chose très ancienne. Dans la chapitre introductif du même ouvrage, Marie Berducou fait référence à un texte concernant Nabonide, roi de Babylone au VIe siècle av.J.-C., qui rechercha quasi archéologiquement et reconstruisit à l’antique le temple de l’Ebabbar, fondé par un des ses prédécesseurs, le roi Hammurapi, deux siècles plus tôt.

Depuis cette époque reculée, la restauration architecturale a connu une histoire au cours de laquelle elle s’est définie, par essai et par erreur pour ainsi dire, faisant alterner différentes conceptions, parfois opposées, de la restauration des monuments historiques ; et elle a défini ses méthodes, ses buts, ses moyens d’action. L’intérêt de cette histoire est qu’elle fait apparaître différentes conceptions de ce que sont les monuments héritées du passé et de la façon dont on doit, nous hommes du présents, les traiter.

 

 Grandes étapes historiques

Les vestiges archéologiques monumentaux, ce qu’on peut appeler les ruines, ont toujours exercé un attrait puissant sur la civilisation occidentale (il n’y a qu’à voir, comme le fait remarquer l’introduction de l’ouvrage Faut-il restaurer les ruines ?, l’importance que peut avoir ce type de décor dans la peinture du Quattrocento), cependant ce n’est qu’assez tard que va apparaître une volonté réelle de les protéger et de les restaurer.

C’est en Italie, patrie de l’Antiquité classique que va naître l’idée de protection et de conservation des monuments anciens. À la Renaissance, on redécouvre le manuscrit du De architectura de Vitruve et plusieurs architectes italiens s’en inspirent pour rédiger des traités d’architecture : Leon Battista Alberti (1404-72), Il Filarete (1400-69/70), Giorgio Martini (1439-1501). C’est ce regain d’intérêt, pour l’architecture et les monuments antiques qui amène les humanistes du XVe siècle à critiquer, à Rome, ceux qui détruisent les œuvres d’art et les monuments anciens sous prétexte que ce sont les images de faux dieux. Sous leur pression, le pape Martin V reconnaît le besoin de restauratio et reformatio et crée le bureau des Magistri viarum dont la responsabilité est de maintenir et de réparer les rues, les ponts, les murs et dans une certaine mesure les bâtiments. Le pape Pieux II (1458-64) œuvrera à sa suite pour la préservation des vestiges romains. Mais à cette époque, on répare surtout les œuvres qui servent encore, comme les ponts, les églises… La construction de la basilique Saint-Pierre va jouer un rôle déterminant. Pour ce faire, on détruit en effet de nombreux vieux monuments afin de récupérer des matériaux de construction. Cette pratique attire l’attention sur la protection des monuments en question et un certain nombre de personnalités se mobilisent. Ainsi une lettre que l’on attribue à Raphaël et au cercle de ceux qui l’entouraient, est adressée à Léon X (1513-21). Elle décrit la destruction qui a lieu des monuments classiques, rappelle leur importance et le monde qu’ils représentent, leur valeur comme témoins du passé italien et comme modèle pour de nouvelles constructions. Les auteurs en appellent à des mesures d’urgence pour protéger cet héritage. A la suite de cette lettre, un travail de restauration papal va avoir lieu portant d’une part sur la réparation de monuments comme l’obélisque, les colonnes de Trajan et de Marc-Aurèle, l’arc de Constantin, et respectant d’autre part les ruines d’autres monuments, comme les thermes de Dioclétien, en tant que reliques chrétiennes.

On peut considérer qu’une autre étape importante dans cette histoire est la découverte des villes ensevelies du Vésuve qui pose avec une force tout à fait nouvelle la question de la restauration : Herculanum, entièrement excavé en 1765, Pompéi et Stabies, découverts en 1748. Cependant l’importance de sauvegarder en tant que telle ces villes antiques n’apparaît pas immédiatement aux fouilleurs d’alors, dont l’intérêt reste centré sur les « trésors » (objets, statues, peintures, bijoux…). C’est à partir de 1763, quand F. La Vega décide de laisser les fouilles à ciel ouvert, que commence à se poser réellement le problème de la restauration. On protège les crêtes des murs par des tuiles, en remontant parfois les murs, on découpe les peintures, mais il n’y a rien de systématique.
Il faut attendre les fouilles françaises de 1798 pour qu’un réel intérêt soit manifesté à l’égard du projet urbain et qu’un travail un peu plus systématique de restauration soit effectué.

 

Rue de Pompéi ©Mathilde Carrive
Rue de Pompéi ©Mathilde Carrive

Ill. : Aujourd’hui, Pompéi est très inégalement restauré ; exemple d’une rue dont toutes les maisons ont été laissées à ciel ouvert, sauf celle du premier plan.

 

 

 

 

 

Parallèlement, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la redécouverte de l’héritage grec classique, et l’exaltation de la Grèce ancienne par Winckelmann, Goethe et Hölderlin, encourage davantage de visiteurs et de collectionneurs à se rendre sur place, ce qui ne va pas sans causer un grand nombre de pertes et de dommages. Ainsi, en 1834, le royaume de Grèce accepte une loi sur la protection des monuments historiques et, à partir de 1820, s’ouvre un débat européen sur l’anastylose, pratique de restauration qui consiste à remettre en place des éléments retrouvés sur le site. Les travaux de Leo Von Klenze (1784-1864) sur l’Acropole en sont une bonne illustration : il commence par faire démilitariser le site qui était encore occupé par l’armée, puis décide d’enlever tous les éléments postérieurs à la période antique et de commencer la restauration du site en remontant toutes les colonnes originales - et refaisant en marbre les fûts manquant - ainsi que les architraves, métopes et triglyphes. En Italie également ont lieu, à cette même époque, de grands projets de restauration, notamment sur le Colisée, qui est consolidé à l’aide de contreforts, et l’arc de Titus, qui est reconstruit.

L’entrée dans le XIXesiècle est également l’entrée dans l’âge du romantisme et du renouveau gothique : en Angleterre, en Allemagne, on s’intéresse de plus en plus aux ruines et aux monuments médiévaux, que l’on restaure en s’efforçant de respecter le style original. La restauration de la cathédrale de Durhan, qui a pour but l’uniformité, l’ordre et la symétrie, est un bon exemple de ce qui arrive à un grand nombre de monuments religieux à cette époque. Pendant ce temps, en France, s’élèvent des protestations de plus en plus nombreuses contre les destructions des monuments historiques. Protestations d’un Victor Hugo par exemple qui écrit en 1825 un appel, Guerre aux démolisseurs. Ce mouvement aboutit, en octobre 1830, à la création par Guizot du poste d’Inspecteur général des monuments historiques, puis en 1837 à celle de la Commission des monuments historiques. C’est la naissance de la notion de monument historique, et des organismes qui vont dès lors règlementer, encadrer le travail de restauration de certains monuments considérés comme présentant un certain intérêt artistique et/ou historique.

La deuxième moitié du XIXe siècle est dominée par la figure de Viollet-le-Duc (1814-79) qui prône la restauration stylistique, consistant à redonner au monument une unité stylistique.
Viollet-le-Duc définit la restauration en ces termes : « Restaurer un bâtiment n’est pas le préserver, le réparer ou le reconstruire, c’est le replacer dans un état complet qui a pu ne jamais exister à une époque donnée ». Il s’agit de redonner une sorte de pureté historique à un bâtiment, comme il essaiera de le faire pour la Madeleine de Vézelay ou Notre-Dame de Paris, qu’il a restauré en éliminant par exemple le portail XVIIIe siècle. Une telle position est originale mais fortement critiquable car on est en droit d’estimer que les autres phases qu’a connues le monument peuvent avoir un intérêt.

 

Notre-Dame de Paris (Source : Wikipédia)
Notre-Dame de Paris (Source : Wikipédia)

Ill. : La façade de Notre-Dame de Paris telle qu’on peut la voir aujourd’hui est en réalité le fruit des restaurations de Viollet-le-Duc.

 

 

 

 

 

Ainsi, un certain nombre d’architectes, notamment britanniques, vont dénoncer la destruction de l’authenticité historique. Le principal acteur de ce mouvement est John Ruskin (1819-1900) qui va opposer à la restauration la conservation. Pour lui la restauration représente la pire des destructions et il estime qu’il faut se contenter de conserver les monuments, et accepter qu’un monument puisse mourir, plutôt que de le dénaturer par de faux ajouts. Dans son principal ouvrage concernant la restauration, Les sept lampes de l’architecture, publié en 1879, il définit les qualités et les valeurs de l’architecture en générale et met un accent majeur sur l’historicité d’un monument et sur son âge, qui, pour lui, est un facteur essentiel dans la beauté et l’intérêt du monument.

C’est dans le même état d’esprit que, le 5 mars 1877, William Morris (1834-96) écrit une lettre publiée dans The Athenaeum, dans laquelle il propose la création d’un association de défense des bâtiments historiques. Association qui sera fondée le 22 mars 1877 sous le nom de SPAB (Society for the Protection of Ancient Buildings) et qui joue un rôle important pour unir les forces contre la restauration conjecturale et pour la maintenance des monuments.

Cette association a rapidement une grande influence à l’étranger, et notamment en Italie où Camillo Boito dans son ouvrage Conserver ou restaurer, met au point, à la suite de Tito Vespasiano Paravicini, la restauration dite philologique. Il voit le monument comme une stratification de contributions de différentes périodes qui doivent toutes être respectées, et promeut l’acceptation d’une politique respectueuse de conservation et de restauration des monuments historiques. Sa position est synthétisée dans une Charte qui est depuis devenue un standard de référence. Différentes normes y sont proposées :

  • la consolidation doit être préférée à la réparation
  • différence de style et de matériau entre les parties anciennes et restaurées
  • éviter de restaurer les moulures et les décors
  • réduire au minimum les travaux de consolidation pour monter que le bâtiment a une vie
  • les ajouts successifs sont maintenus et étudiés
  • nécessité de documenter la restauration dans ses différentes phases
  • une marque doit rappeler les différentes interventions de restauration.

Il s’agit là de normes qui seront diffusées dans toute l’Europe à partir de la fin du XIXe siècle.

On peut également parler de la restauration historique, conceptualisée par Luca Beltrami, élève de Boito. L’idée est de s’appuyer sur tous les documents d’archives pour reconstituer l’état originel d’un bâtiment. C’est en fait une position qui se rapproche assez de celle de Violle-le-Duc.

Le début du XXe siècle est influencé par les conceptions de G. Giovannoni (1873-1947) qui définit la restauration scientifique. Par le biais de son poste de directeur de l’école d’architecture de Rome et de son enseignement à la faculté d’architecture, il consolide les principes modernes de la restauration et énonce cinq critères : consolidation, recomposition, libération (enlever certains éléments), adjonction de ce qui peut manquer, innovation. Cependant la figure majeure du XXè s. reste Cesare Brandi (1906-88) qui, dans son ouvrage Teoria del restauro, a fondé notre conception actuelle de la restauration. À ses yeux la restauration doit être basée sur la reconnaissance de l’œuvre comme une œuvre d’art et comme une production humaine qui a son historicité. Son intention est de montrer qu’un monument doit toujours être regardé comme un ensemble. Il recommande d’éviter les trop grandes conjectures et de ne pas effacer les marques du temps, et s’élève contre les anastyloses systématiques. Pour lui, la restauration est une spécialisation au sein d’une discipline globale.

 

Site d’Ephèse (Turquie) ©Mathilde Carrive
Site d’Ephèse (Turquie) ©Mathilde Carrive

Ill. : Exemple d’anastylose malheureuse, sur le site d’Ephèse (Turquie).

 

 

 

 

 

On peut citer un exemple particulièrement intéressant d’entreprise de restauration : celle qu’a mené V. Spinazzola à Pompéi à partir de 1910. Il s’agit d’une méthode conjointe de fouilles et de restauration. Il a choisi de décaper le sol par strates horizontales de grandes surfaces. Lorsque les fouilleurs rencontraient le sommet d’une structure, ils en assuraient aussitôt la remise en état ; ainsi, lorsque l’ensevelissement de 79 n’avait pas provoqué la destruction complète des faîtages, il était possible de connaître avec certitude la hauteur complète de l’édifice. De cette façon, au fur et à mesure des dégagements, on parvenait au niveau du sol antique en ayant une maison totalement restaurée avec une certitude absolue. Il s’agit là d’un exemple tout à fait remarquable de restauration, mais qui n’est évidemment possible que sur un site comme celui de Pompéi où l’on dégage entièrement des structures relativement bien conservées.

Enfin dans la seconde moitié du XXe siècle, la situation va peu à peu être normalisée par une série de Chartes internationales, qui vont conduire à la définition et à la réglementation du travail de restauration tel qu’on le conçoit actuellement.

 

 Les Chartes internationales

La première est la Charte d’Athènes pour la restauration des Monuments Historiques adoptée lors du premier congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques en 1931.
Sept résolutions furent présentées lors de ce congrès d’Athènes et appelées « Carta del Restauro » :

  • Des organisations internationales prodiguant des conseils et agissant à un niveau opérationnel dans le domaine de la restauration de monuments historiques doivent être créées.
  • Les projets de restauration doivent être soumis à une critique éclairée pour éviter les erreurs entraînant la perte du caractère et des valeurs historiques des monuments.
  • Dans chaque État, les problèmes relatifs à la conservation des sites historiques doivent être résolus par une législation nationale.
  • Les sites archéologiques excavés ne faisant pas l’objet d’une restauration immédiate devraient être enfouis de nouveau pour assurer leur protection.
  • Les techniques et matériaux modernes peuvent être utilisés pour les travaux de restauration.
  • Les sites historiques doivent être protégés par un système de gardiennage strict.
  • La protection du voisinage des sites historiques devrait faire l’objet d’une attention particulière.

Il est également intéressant de noter que la Charte affirme l’intérêt de toutes les phases de vie d’un bâtiment, en recommandant de « respecter l’œuvre historique et artistique du passé, sans proscrire le style d’aucune époque » et en incitant à une occupation des monuments qui respecte leur caractère historique ou artistique et qui assure ainsi la continuité de leur vie. La Charte souligne aussi l’importance d’une collaboration étroite entre archéologues et architectes. On peut enfin préciser qu’elle insiste avec raison sur le rôle de l’éducation dans le respect des monuments et sur l’utilité d’une documentation internationale. Quelques points posent tout de même de gros problèmes, comme le fait que la Charte autorise le recours au béton armé.

En 1964, se réunit à Venise le 2e Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques, dans le but de « réexaminer les principes de la Charte d’Athènes afin de les approfondir et d’en élargir la portée dans un nouveau document ». Elle élargit la notion de monument historique au « site urbain ou rural qui porte témoignage d’une civilisation particulière, d’une évolution significative ou d’un évènement historique » Elle insiste sur la valeur à la fois historique et artistique d’un monument. Pour ce qui concerne la conservation, elle répète l’importance de conserver les monuments en état de fonctionnement, sans que cela ne puisse affecter l’ordonnance ou le décor des édifices, ainsi que l’importance d’un cadre protégé à l’échelle du monument. Quant à la restauration à proprement parler, la Charte affirme que la restauration « a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques ». En conséquence, elle rejette dans la mesure du possible les reconstitutions conjecturales, et, quand celles-ci sont nécessaires, elle insiste la nécessité qu’elles portent la marque de notre temps. Comme la Charte d’Athènes, elle considère que « les apports valables de toutes les époques à l’édification d’un monument doivent être respectées, l’unité de style n’étant pas un but à atteindre au cours d’une restauration ». Tout élément destiné à remplacer une partie manquante doit « s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales ». Enfin, la nouveauté de cette Charte est de comporter un article sur les fouilles.

La dernière en date et la plus complète est la Charte de Cracovie de 2000. Cette Charte reprend, en les approfondissant parfois, un certain nombre de points déjà mentionnés, mais elle a surtout le mérite d’apporter un cadre conceptuel important, notamment avec la définition du « projet de restauration », qui « résultat des choix de conservation, est le processus spécifique par lequel la conservation du patrimoine bâti et du paysage est menée à bien ». Projet de restauration basé sur des principes que la Charte définit : celui de l’intervention minimum, celui d’authenticité, d’intégrité, d’identité.
D’autre part, elle nuance la position des Chartes précédentes quant aux mariaux et techniques modernes : « tout nouveau matériau, toute nouvelle technologie doivent être rigoureusement testés, comparés et maitrisés avant application » et doit ensuite faire l’objet d’un suivi permanent. Elle présente enfin la nouveauté d’élargir le champ de la restauration du patrimoine en insistant sur les notions de villes et villages qui doivent être perçu dans leur environnement territorial, et de paysage faisant partie du patrimoine culturel, et devant dans ce contexte être également préservés, conservés et développés.

Le rapide examen de cet historique et de ces trois Chartes nous conduit à réfléchir à la définition que l’on pourrait donner du travail de restauration architecturale.

 

 Définition

La définition de la restauration est inséparable de celle de conservation, et si les deux notions ont parfois été opposées, au profit de la restauration, pour dénoncer certains excès, par Ruskin par exemple, on va voir qu’il est en fait assez difficile de tracer une milite nette entre les deux.

La Charte de Cracovie définit la conservation d’un monument historique comme l’ensemble des comportements d’une communauté qui contribuent à faire perdurer le patrimoine et ses monuments. Tandis que la restauration est définie par cette même Charte comme une opération portant sur un bien patrimonial en vue de la conservation de son authenticité et de son appropriation par la communauté. Le lien entre les deux activités apparaît déjà, car y a-t-il un sens, du point de vue des monuments historiques, à conserver un monument sans conserver son authenticité ? Et les choses se brouillent davantage quand la Charte définit le projet de restauration comme le processus par lequel la conservation du patrimoine bâti et du paysage est menée à bien.

C’est pourquoi, Marie Berducou, dans La Conservation archéologique, préfère utiliser le vocable conservation-restauration pour désigner l’ensemble des moyens qui permettent d’assurer la pérennité d’un bien culturel, son intégrité et en dernier lieu son accessibilité. Elle s’appuie pour ce faire sur la définition apportée par Cesare Brandi dans la Teoria del Restauro : « la restauration constitue le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art, dans sa consistance physique et dans sa double polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission au futur ». La restauration se fait en vue de la transmission au futur, autrement dit en vue de la conservation.

Cette définition nous semble la plus satisfaisante et il faut la mettre en liaison avec un passage de la Charte de Cracovie qui affirme que « la conservation peut être réalisée par différents types d’interventions, tels que le contrôle environnemental, l’entretien, la réparation, la restauration, la rénovation et la réhabilitation ».

Ainsi nous définirons la restauration comme une étape dans le processus global de conservation d’un monument historique, étape consistant à révéler la double polarité historique et esthétique de ce monument, tout en respectant sa substance ancienne et sa valeur de document antique.

 

 Principes de la restauration architecturale

Une grande partie a déjà été énoncé dans l’examen de Chartes internationales, mais il s’agit ici d’en faire la synthèse en s’appuyant également sur la participation déjà citée de J.-P. Adam à l’ouvrage de Marie Berducou.

  1. Importance du travail d’archive préalable à toute restauration.
  2. Importance de la collaboration entre archéologues, architectes et techniciens pour une restauration à la fois efficace et la plus authentique possible.
  3. Principe de l’intervention minimum.
  4. Principe de réversibilité, dans la mesure du possible de la restauration.
  5. Lisibilité des interventions contemporaines qui doivent pouvoir être distinguées des phases précédentes du bâtiment.
  6. Respecter les différentes phases de la vie d’un monument.
  7. Tester très rigoureusement tout matériau ou technique moderne avant leur utilisation sur un bâtiment antique, et suivre par la suite les résultats qu’ils donnent.
  8. Préférer la consolidation au remontage, et toujours commencer par une consolidation et un assainissement des structures en place, avant de remonter éventuellement des éléments.
  9. Bannir toute restauration faisant appel à l’imagination créatrice, afin de respecter le document antique. Cependant il est possible :
    de proposer une reconstruction imaginaire indépendante du monument et présentée comme telle,
    de protéger un vestige trop ruiné pour pouvoir être reconstruit par une architecture contemporaine témoignant de l’époque de cette mesure
  10. Importance du travail de documentation de la restauration.
  11. Importance de l’entretien et du suivi après restauration.
  12. Permettre la plus grande accessibilité possible au public tout en ayant conscience des dommages que peut provoquer “ l’érosion touristique ”.
  13. Encourager une réutilisation respectueuse du monument, ce qui est le meilleur moyen de le conserver.

 

Maison du Péristyle, Pergame (Turquie) ©Mathilde Carrive
Maison du Péristyle, Pergame (Turquie) ©Mathilde Carrive

Ill. : Pièce de la Maison du Péristyle à Pergame (Turquie) : la partie restaurée et la partie non restaurée du mur sont clairement séparées par une ligne rouge. La restauration est ainsi à la fois visible et réversible.

 

 

 

 

 

On peut trouver une illustration exemplaire de l’application de ces principes dans l’ouvrage de J.P. Adam, Dégradation et restauration de l’architecture pompéienne. Cet ouvrage se présente comme une contribution apportée à l’effort considérable entrepris par la Surintendance et les pouvoirs publics italiens pour remédier aux dégâts importants qu’a connu le site de Pompéi à la suite du tremblement de terre qui a ravagé les provinces de Basilicate et de Campanie le 23 novembre 1980. L’auteur, après avoir brièvement présenté l’architecture pompéienne tant historiquement que typologiquement, établit une typologie des dommages provoqués par le séisme et par d’autres agressions comme l’eau, la végétation, la fréquentation touristique…, pour ensuite émettre une série de propositions de méthodes de restauration et d’entretien applicables à chaque type d’agressions. Ces propositions sont basées sur une observation et des analyses scientifiques des matériaux de construction pompéiens. J.-P. Adam prend soin de constater les erreurs des restaurations précédentes afin de ne pas les refaire, propose à chaque fois plusieurs solutions, plusieurs matériaux ou méthodes utilisables en indiquant lesquels lui semble les plus adaptés. Il insiste par ailleurs vigoureusement sur la nécessité de tester les produits utilisés sur des échantillons avant de les utiliser, et recommande un suivi et un entretien rigoureux. Enfin, son ouvrage met bien en avant la valeur de document antique qu’a le site de Pompéi, et au nom de laquelle il faut respecter au maximum l’authenticité des monuments.

 

 Bibliographie

  • ADAM (J.-P.), Dégradation et restauration de l’architecture pompéienne, Paris, CNRS, 1983.
  • BERDUCOU (M.-C.), La Conservation en archéologie, Paris, Masson, 1990.
  • BOITO (C.), Conserver ou restaurer : les dilemmes du patrimoine, Besançon, 2000.
  • BRANDI (C.), Teoria del Restauro, Rome, 1963.
  • BRANDI (C.), Il restauro, teoria e pratica, Rome, 1995.
  • CHOAY (F.), L’Allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, 1999.
  • Faut-il restaurer les ruines ? Colloque organisé par la Direction du Patrimoine, Paris, 1990.
  • GIOVANNONI (G.), Il restauro dei monumenti, Rome, 1945.
  • HUGO (V.), Guerre aux démolisseurs, dans Œuvres complètes, critique, Paris, 1985.
  • HUGO (V.), Notre-Dame de Paris.
  • JOKILEHTO (J.), History of Architectural Conservation, Butterworth-Heinemann, 1999.
  • MERIMEE (P.), Correspondance générale, Privat, 1958.
  • MERIMEE (P.), Notes de voyage, Paris, 1971, rééd. 1989.
  • MOLINA MONTES (A.), La restauracion arquitectonica de edificios arqueologicos, Coleccion cientifica del INHA, 21, Mexico, 1975.
  • MARSILIO (S.), La cultura del Restauro, teorie e fondatori, Venise, 1996.
  • RUSKI N (J.), Les sept lampes de l’architecture, 1879, rééd. 1925, Londres.
  • VIOLLET-LE-DUC (E.), Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIè au XVIè siècle (10 volumes).
  • VIOLLET-LE-DUC (E.), La restauration des anciens édifices en Italie, Encyclopédie d’architecture, I.
  • VIOLLET-LE-DUC (E.), On restoration, Londres, 1875.

 Liens

  • www.rempart.com
    Site de l’association française REMPART, pour la Réhabilitation et l’Entretien des Monuments du Patrimoine Artistique, et notamment la rubrique Édition qui propose un certain nombre de publications techniques et théoriques.
  • www.lrmh.fr
    Le site du Laboratoire des Monuments Historiques.
  • www.culture.gouv.fr/documentation/merimee
    Il s’agit de la base de données Mérimée qui recense le patrimoine monumental français dans toute sa diversité : architecture religieuse, domestique, agricole, scolaire, militaire et industrielle. Elle est mise à jour périodiquement.

Mathilde Carrive
élève 1ère année, 2006


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