Le parc archéologique de Bliesbruck-Reinheim (57)
Le Parc archéologique européen de Bliesbruck-Reinheim se situe dans la vallée de la Blies, dominée par la colline du Homerich, entre deux méandres de cet affluent de la Sarre, à cheval sur la frontière franco-allemande entre la commune de Bliesbruck (en Moselle) et celle de Reinheim (dans le Land allemand de Sarre). Ce projet transfrontalier est né en 1989 à l’initiative de Jean Schaub, suite à la collaboration d’archéologues mosellans et sarrois dans le cadre de fouilles sur le site depuis plusieurs dizaines d’années ayant mis au jour d’importants vestiges qui vont de la fin de l’âge du bronze au Moyen-Âge, abritant en particulier d’importants vestiges celtes et gallo-romains. Le site accueille en outre en son sein diverses animations : le feu de la Saint-Jean en juin, la Vita Romana (spectacles avec costumes à la mode gallo-romaine) en août, ainsi que la fête celtique en septembre.
I) L’histoire des fouilles sur le site de Bliesbruck-Reinheim
Les premières trouvailles sur le futur site de Bliesbruck-Reinheim et dans ses environs datent des XVIIIe et XIXe siècles : ainsi, en 1760, à Reinheim, un violent orage a provoqué un glissement de terrain qui a mis au jour des urnes funéraires en pierre d’époque romaine, a priori au lieu-dit du « Niederberg », sur la rive droite de la Blies. De même, près des actuels vestiges de la villa, au lieu-dit « Allmend », avait été retrouvé un temple dédié à Vénus, avec un bas-relief représentant la Fortune ou Cybèle. En 1828, sur le sommet de la colline du Homerich qui domine le site, on trouve des vestiges correspondant probablement à une tombe en caisson en grès d’époque mérovingienne. En 1856, Friedrich Schröter met au jour à Bliesbruck divers vestiges : des monnaies d’époque romaine, une statuette représentant Jupiter... A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, on découvre des tombes à incinération d’époque romaine dans les environs.
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- Reconstitution de la tombe de la princesse celte de Reinheim (cliché Alexandre Schmitt)
Surtout, en 1954, on découvre la tombe princière celtique de Reinheim, datée de 370 av. J.-C., après quelques premières découvertes en 1952 (crâne humain, anneau en bronze, pot en terre cuite...), suite à des travaux d’extraction de sable dans la sablière détenue par la famille Schiel. Les fouilles de sauvetage sont menées conjointement par Josef Keller et Alfons Kolling. Cette découverte, qui suscite un grand intérêt et est mise en parallèle avec celle de René Joffroy à Vix (Côte-d’Or, France) marque l’entrée du site parmi les hauts lieux de l’archéologie européenne. Néanmoins, après cette découverte, le site tombe dans l’ « oubli archéologique » et les fouilles ne recommencent véritablement à Bliesbruck qu’en 1971, grâce à l’initiative de Jean Schaub, qui remarque que l’exploitation d’une gravière conduit à la destruction des vestiges. De nouvelles fouilles de sauvetage sont donc organisées. En 1979, les fouilles sont intégrées à la programmation nationale du ministère de la culture, ce qui est une première étape dans la reconnaissance de l’importance du site. En 1982, le Conseil général de la Moselle décide d’acquérir une partie du site et un petit service archéologique est créé en parallèle : les fouilles s’intensifient. Ainsi, le quartier ouest finit d’être fouillé en 1987, la fouille du quartier artisanal est commence en 1989 et les thermes sont fouillés en plusieurs campagnes annuelles, entre 1988 et 1992. En parallèle, les fouilles reprennent à Reinheim à partir de 1987 et des expositions communes entre les deux sites de Bliesbruck et de Reinheim sont organisées, ce qui constitue une première étape annonciatrice de la future fondation en 1989 du parc archéologique de Bliesbruck-Reinheim.
Aujourd’hui, depuis 2006, un projet collectif de recherche (PCR) a été lancé, sous la coordination de Jean-Paul Petit et de Walter Reinhard : le site de Bliesbruck-Reinheim est devenu un espace de coopération archéologique transfrontalier entre la France et l’Allemagne.
II) Compte-rendu de la visite du parc archéologique
Le site de Bliesbruck-Reinheim présente donc divers vestiges, qui vont de la protohistoire (fin de l’âge du bronze) jusqu’au haut Moyen-Âge (époque mérovingienne), en passant par d’importants vestiges gallo-romains. La visite du site s’articule autour de cinq principaux pôles, dans l’ordre de ma visite : le centre d’exposition permanente, le vicus (petite agglomération possédant parfois ses propres magistrats) gallo-romain, les thermes gallo-romains, la villa et les tumuli celtes avec la tombe princière.
1. Le centre d’exposition
Ce bâtiment abrite l’exposition permanente et les diverses expositions temporaires qui changent au fil des années (par exemple, il y a quelques années : sur les pérégrinations dans l’Empire romain, ou pour la saison 2017 une exposition interactive nommée ‘Un travail de Romain : construis ta ville !’ particulièrement dédiée aux enfants). Il sert également de billetterie, ce qui explique que ce soit la première étape de la visite. On y trouve donc les vestiges et objets les plus remarquables issus des fouilles du vicus gallo-romain, accompagnés de panneaux explicatifs qui montrent des images du plan du site, des fouilles et de reconstitutions, et servent d’éclairage sur les aspects de la vie quotidienne des habitants du vicus (boulangerie, métallurgie, artisanat...) et son histoire, tout le long de la période gallo-romaine. Parmi les découvertes notables, on trouve : de nombreux objets d’artisanat pour le bois, le fer et le bronze, des amphores, des fragments de tuiles (tegulae), des restes d’enduits peints, une grande table circulaire, des monnaies d’imitation, de nombreux autres mobiliers ainsi que des objets à caractère militaro-germanique qui témoignent de la présence d’autres populations que des Gallo-Romains sur le site, à la fin du IVe siècle et au début du Ve. L’objet le plus remarquable peut-être du centre d’exposition est une pointe de flèche « hunnite », la première de ce type retrouvée en Gaule, datant du IVe ou du Ve siècles de notre ère et qui pourrait être liée à l’invasion des Huns, ou plus probablement, selon Joachim Henning, à la fin du royaume des Burgondes, vers 430.
2. Le vicus
Une fois en dehors du centre d’exposition, le visiteur est libre de marcher sur les traces des fouilles du vicus d’où ont été exhumés ces objets. La ville romaine se scinde principalement en deux quartiers artisanaux : l’un à l’ouest, l’autre à l’est, sans compter les thermes publics.
Sur le chemin menant de l’exposition permanente au quartier ouest se trouve une zone d’animation de la ville romaine, avec une boulangerie et une poterie reconstituées où les visiteurs peuvent être initiés aux activités artisanales suivant la mode gallo-romaine.
La suite de la visite permet d’explorer les vestiges du quartier artisanal ouest, dont l’histoire débute vers 40 après J.-C., à l’époque claudienne, et se finit vers la moitié du IIIe siècle de notre ère qui constitue son apogée. Les fouilles indiquent que la parcellisation du quartier ouest n’a que peu évolué au fil du temps : des bâtiments en pierre ont simplement remplacé ceux en bois, tout en gardant la même forme rectangulaire avec une ouverture sur le côté.
On y trouve entre autres un portique
Portique
Portiques
Galerie à arcades ou à colonnes.
, un atelier de bronzier (bâtiment 4), une boulangerie-meunerie (bâtiment 5), un bâtiment 7 dédié aux métiers de bouche qui contient un grand four central, un entrepôt où ont été retrouvées des amphores, un bâtiment (n°13) dont on peut explorer la cave...
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- Vue des vestiges des bâtiments rectangulaires du quartier artisanal ouest (cliché Alexandre Schmitt)
Dans le quartier artisanal est, occupé du Ier siècle jusqu’au Ve, on trouve d’autres bâtiments rectangulaires avec des espaces résidentiels et surtout, le bâtiment 5, qui semble constituer le lieu de réunion d’une association, où ont été retrouvés d’importants vestiges présents dans le centre d’exposition : poignées et appliques de coffres, gobelets à boire...
Hors des voies principales, on trouve également des puits et des latrines à proximité de l’étang qui borde le site.
3. Les thermes
Après la visite des deux quartiers artisanaux du vicus, il reste à voir les thermes publics (car il y a également des thermes privés, dans la pars urbana de la villa), qui forment un complexe monumental bordé d’allées de boutiques datant de la fin du Ier siècle ou du début du IIe siècle de notre ère. Ils sont remarquablement bien conservés et servent également de musée pour présenter l’état des fouilles et la pratique des bains publics dans le monde gallo-romain, à travers une série de panneaux explicatifs et d’affiches. La présence de thermes souligne l’importance locale du site de Bliesbruck-Reinheim, puisque toutes les agglomérations n’en disposent pas ; les thermes, les nombreuses boutiques et ateliers artisanaux du vicus sont autant d’indices qui témoignent d’un grand dynamisme économique et social. Les thermes forment avant tout un espace de sociabilité et de convivialité où les hommes se réunissent, discutent et se détendent au cours de jeux : on a ainsi retrouvé des fibules en bronze, des dés et des jetons. Des panneaux et des maquettes témoignent de l’évolution des thermes au cours du temps : le bâtiment connaît son apogée vers le IIe siècle de notre ère et est mis hors-service par les invasions germaniques de 250-275, avant d’être réutilisé. Enfin, aux XVe et XVIe siècles, le bâtiment des thermes est transformé en maison forte puis finit par être inhumé et n’est redécouvert qu’en 1987.
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- Vue sur les vestiges du tepidarium et du caldarium (© CG57-Bliesbruck)
On y trouve diverses pièces : des latrines, un tepidarium
Tepidarium
Pièce chauffée des thermes romains, située plus loin des foyers que le caldarium, la température y est plus tiède.
(bain tiède), un caldarium
Caldarium
Caldaria
Salle la plus proche des feux et donc la plus chaude des thermes romains, comprenant des baignoires d’eau chaude.
(bain chaud) et un frigidarium
Frigidarium
Salle froide des thermes romains.
(bain froid). Les baigneurs allaient d’abord dans le bain tiède, puis dans le chaud, et enfin dans le froid. Les vestiges du système de chauffage par hypocauste
Hypocauste
Chauffage par les sols et les murs obtenu en faisant circuler de l’air chaud dans les vides sanitaires, sous les planchers et dans les tubulures creuses à l’intérieur des murs. Toutes les salles chaudes des thermes romains en sont équipés.
(chauffage par le sol grâce à des pilettes) sont également clairement visibles.
4. La villa
De l’autre côté du parc archéologique, côté allemand, se situe la villa de Reinheim, qui s’étend sur une superficie de sept hectares, avec une claire division entre pars rustica (cour économique, espace agricole où vivent les esclaves et l’intendant) et pars urbana (espace habité par le maître du domaine). La villa semble avoir été fondée dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère avant d’atteindre son apogée au IIIe siècle ; suite aux troubles de la seconde moitié du IIIe siècle, elle perd son caractère palatial et les constructions annexes sont abandonnées. La monnaie la plus récente retrouvée sur le site est frappée à l’effigie de Théodose Ier (empereur de 379 à 395).
Le visiteur entre d’abord, après être passé sous un portique, dans la pars rustica (300 mètres de long sur 150 de large) composée de parcelles agricoles et de bâtiments annexes reconstitués, composés d’une seule pièce aux angles, à l’exception du bâtiment annexe VIII qui est le seul à être subdivisé en plusieurs pièces et est peut-être la résidence de l’intendant du domaine.
En 2000, dans le bâtiment annexe IX, a été retrouvé un objet important daté du Ier siècle, nommé le « casque de Reinheim » : il s’agit d’une visière métallique en forme de visage, partie frontale d’un casque, qui faisait partie de l’équipement du cavalier romain sous le Haut-Empire, taillé aux traits de son propriétaire, un aristocrate au service de l’armée romaine, peut-être le fondateur de la villa de Reinheim. Plus loin, on se retrouve dans la pars urbana, véritable palais campagnard, où se trouve un grand jardin, aujourd’hui reconstitué, du côté de la façade sud du bâtiment principal. La résidence s’inscrit dans l’ensemble dans un rectangle de 80 mètres sur 70 et présente une forme de H, puisqu’il est constitué d’un grand bâtiment central flanqué de deux ailes. Il s’agit d’un bâtiment ample qui témoigne d’une grande richesse : au IIe siècle, un bassin ornemental de 40 mètres de long et de 3 mètres de large bordait la façade nord, l’aile occidentale abritait des thermes privés dont on a retrouvé des traces grâce aux vestiges du système de chauffage par hypocauste et à l’est de l’aile orientale se trouvait vraisemblablement un second jardin.
5. La tombe princière
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- Vue des tumuli et du musée de la tombe princière depuis la colline proche de la villa (cliché Alexandre Schmitt)
Enfin, à côté de la pars urbana de la villa, visibles depuis la colline adjacente, se situent trois tumuli d’époque celtique, au lieu-dit ’Katzenbuckel’. C’est une nécropole dont fait partie la tombe princière datée d’environ 370 avant notre ère (La Tène ancienne) retrouvée en 1954 dont il a été fait mention plus haut. Cette tombe abritait la dépouille, inhumée dans une chambre funéraire en chêne, d’une ’princesse’ celte, c’est-à-dire d’une aristocrate de haut rang. Ses ossements n’ont pas été retrouvés en raison de l’acidité du sol, mais on a pu mettre au jour les divers éléments de sa riche parure : un torque, des bracelets, des bagues, des fibules de bronze décorées ou incrustées de perles de corail, témoignages de l’orfèvrerie celte, ainsi que diverses offrandes funéraires comme un miroir, des perles de verre ou un bâton d’ambre. On a également retrouvé d’autres éléments qui nous renseignent sur les rites funéraires celtes, comme un service à boire, avec par exemple une cruche en bronze qui contenait du vin au moment du dépôt et devait vraisemblablement accompagner la défunte dans l’au-delà. Les archéologues qui ont fouillé le site se demandent si la défunte n’était pas une prêtresse, en raison de tout ce riche service funéraire à connotation rituelle.
La chambre funéraire a été reconstituée dans le musée dédié à la tombe princière, dans une semi-pénombre éclairée par quelques lampes. Il ne s’agit cependant évidemment ni de la vraie défunte, dont les ossements ont été détruits par l’acidité du sol, ni des véritables objets : les originaux de ces copies se trouvent au Musée archéologique de Sarrebruck, à quelques kilomètres, toujours dans le Land de Sarre.
6. Conclusion
Le parc archéologique de Bliesbruck-Reinheim, qui témoigne de la coopération franco-allemande, contient donc de remarquables vestiges, tant d’époque celte que d’époque gallo-romaine, dont les plus importants ont été présentés ici : la tombe princière de Reinheim, la première pointe de flèche dite ’hunnique’ retrouvée en Gaule, les thermes en bon état de conservation, l’imposante villa où a été retrouvé le casque de Reinheim...
Si ce compte-rendu vous a plu, je ne peux que vous inviter à voir le site par vous-même, qui vous fera voyager par-delà la frontière entre la France et l’Allemagne, mais également à travers le temps, sur les traces de nos ancêtres Celtes et Gaulois.
III) Bibliographie complémentaire :
- • Parc archéologique européen de Bliesbruck-Reinheim, Diane Dusseaux, IAC Editions, 2013
- • « Bliesbruck-Reinheim : Celtes, Gallo-Romains et Mérovingiens en Moselle et en Sarre », Dossiers d’archéologie, n°hors-série, 2013
- • Echt (Rudolf), Das Fürstinnengrab von Reinheim. Studien zur Kulturgeschichte der Früh-La Tène-Zeit, Bliesbruck-Reinheim, 1999 (Blesa 2)
- • Petit (Jean-Paul), avec la collaboration de Brunella (Philippe) et des contributions de Deru (Xavier), Echt (Rudolf), Reinhard (Walter) et Sărăţeanu-Müller (Florian), Bliesbruck-Reinheim, Celtes et Gallo-Romains en Moselle et en Sarre, éditions Errance, Paris, 2005
- • Petit (Jean-Paul), Santoro (Sara), dir., Vivre en Europe romaine : de Pompéi à Bliesbruck-Reinheim, éditions Errance, Paris, 2007
- • Reinhard (Walter), Die keltische Fürstin von Reinheim, Stiftung Europäischer Kulturpark Bliesbruck-Reinheim, Homburg, 2004
- • Reinhard (Walter), Kelten, Römer und Germanen im Bliesgau, « Denkmalpflege im Saarland 3 », Stiftung Europäischer Kulturpark Bliesbruck-Reinheim, Homburg, 2010
Webographie :
- www.archeo57.com
- bliesbruck@cg57.fr
- www.mosellepassion.fr
Alexandre Schmitt DSA, 2017