L’occupation préhistorique du bassin marseillais

Marseille a été fondée en 600 av. n. è. sous le nom de Massalia par des colons grecs originaires de Phocée (Ionie). Avec ses vingt-six siècles d’histoire urbaine continue, elle est la plus ancienne ville de France. La topographie Topographie Représentation des formes d’un terrain sur un plan. de la Marseille grecque est davantage connue de nos jours, mais qu’en est-il des vestiges précédant l’arrivée des Phocéens ?
Nous proposons ici la description d’une époque moins connue du bassin marseillais, à savoir son occupation préhistorique, rendue possible grâce à des fouilles emblématiques telles que celles de la grotte Cosquer ou bien des vestiges de la butte Saint-Charles. Nous rencontrerons Ingrid Sénépart, archéologue à la ville de Marseille, et Pierre Goismier, réalisateur documentariste, et parlerons de la mise en valeur du patrimoine archéologique de la ville de Marseille, avec notamment la rénovation du Musée d’Histoire de Marseille, qui accueille une partie dédiée à la période préhistorique de la région.
I. Contexte
A. Le bassin de Marseille entre mer et montagne, un site stratégique
Baigné par la mer Méditerranée à l’ouest et au sud, séparé du reste de la Provence par des chaînes de collines au nord et à l’est, le bassin marseillais est un espace enclavé par des collines calcaires : les principales chaînes environnantes sont le massif de la Nerthe au nord-est, la chaîne de l’Etoile (dont le célèbre Garlaban culmine au nord-est), le massif d’Allauch à l’est et enfin le massif de Carpiagne au sud.
- Marseille, carte topographique schématique
A l’intérieur de ce bassin se dessinent des buttes alignées selon un axe nord-est/sud-ouest telles que le site du fort Saint-Jean, la butte Saint-Laurent, la double butte des Moulins et de la Roquette puis celle des Carmes. Il est parcouru par trois torrents : l’Huveaune, le Jarret et le ruisseau des Aygalades.
Un aspect très stratégique du bassin Marseillais réside dans ses calanques. Elles sont des refuges naturels protégés des vents tels que le mistral. Ce sont des sites particulièrement favorables à l’établissement humain.
Au large, on compte une quinzaine d’îles et îlots formant deux archipels : face au Vieux-Port l’archipel du Frioul et plus loin, au large des calanques, l’archipel de Riou.
B. La préhistoire
La préhistoire se décompose en plusieurs ères qui sont délimitées par d’importantes avancées, généralement matérielles. Nous allons d’abord décrire les principales caractéristiques ainsi que les changements climatiques majeurs de ces périodes, nécessaires à la compréhension de l’évolution de l’occupation du bassin Marseillais :
Le paléolithique Moyen couvre plus de 250 000 ans (env. 300000 à 40000 av. n. è.). Il comprend le développement, l’apogée et l’extinction de l’Homme de Néandertal en Europe.
C’est de cette période que sont datés les premiers vestiges de présence humaine dans le bassin Marseillais (aux alentours de 60 000 av. n. è.).
Le Paléolithique supérieur débute aux alentours de 40000 av. n. è. et prend fin vers 12500 av. n. è.. Il est caractérisé par l’expansion de l’Homo Sapiens Sapiens à travers le monde. Le climat est toujours glaciaire, mais il devient sec aux environs de 50 000 av. n. è.. Durant cette période, appelée Würm récent, l’ensemble de l’Europe est sous les glaces et la mer est à plus de 120 mètres au-dessous du niveau actuel.
Les îles de Lérins, les îles d’Hyères, et, devant Marseille, l’Archipel du Frioul et l’ilot du Planier, étaient alors reliés au littoral, formant une vaste plaine steppique à la faune bien différente d’aujourd’hui : bisons, chevaux, cerfs géants et antilopes occupaient les plaines, bouquetins et chamois les collines et on trouvait des pingouins et des phoques près des littoraux. La grotte Cosquer, alors non immergée, fut occupée deux fois pendant le Paléolithique supérieur (vers 27 000 et vers 19 000 av. n. è.).
Le Mésolithique est la période comprise entre 12500 et 9600 av. n. è. Le réchauffement et la remontée des eaux provoquent la disparition des derniers groupes de chasseurs-cueilleurs et l’apparition des premiers paysans provençaux sur la colline Saint-Charles (lieu de l’actuelle gare Saint-Charles). Le bassin accueille les cultures et des villages sédentaires. La consommation de coquillages et de crustacés durant plusieurs millénaires sur un même site, que ce soit par les derniers chasseurs-cueilleurs ou par les paysans de la colline qui occupent le bassin durant tout le Mésolithique, est une spécificité très curieuse de la zone.
Les changements fondamentaux qui caractérisent le Néolithique (6000 à 2100 av. n. è.) sont l’invention de l’agriculture (production de blé et d’orge, à l’origine) et la domestication des animaux (la chèvre et le mouton, puis le bœuf et le porc). L’origine de ces transformations se situe au Proche-Orient. L’expansion démographique qui s’en est suivie a amené les nouveaux agriculteurs-éleveurs à coloniser progressivement le Moyen-Orient puis l’Europe : un courant migratoire méditerranéen arrive dans le sud de la France entre 5900 et 5600 av. n. è. D’autres innovations sont à remarquer durant le Néolithique, comme l’invention de la poterie ou l’apparition du polissage. La sédentarisation progressive des populations est une des conséquences majeures de ce nouveau mode de vie. La fin du Néolithique (vers 2100 av. n. è.) est marquée par l’apparition de la métallurgie du cuivre dans le sud de la France.
Les Ages des Métaux couvrent les vingt-deux siècles qui séparent la diffusion de la métallurgie du bronze, vers 2200 av. n. è. en France, de la conquête romaine de la Gaule en 52 av. n. è. Durant l’Age du Bronze (de 2200 à 800 av. n. è.) puis l’Age du Fer (800 à 52 av. n. è.), de profondes évolutions touchent tous les aspects de la société : innovations technologiques, refonte des réseaux commerciaux et intensification des échanges, apports démographiques, accroissement de la hiérarchisation sociale, émergence de la ville et d’une économie monétaire, mise en place de pouvoirs politiques centralisés. La création de la cité phocéenne en 600 av. n. è. s’inscrit dans ce contexte.
- Les grandes divisions chronologiques de la Préhistoire
II. Les fouilles
A. La grotte Cosquer
- Photographie aérienne et croquis du cap du Morgiou, site de la grotte Cosquer
En 1985, Henri Cosquer, directeur du « Centre Cassidain de Plongée », découvre et explore un siphon à 37 mètres de profondeur, au pied de la falaise de la Voile. Ce conduit débouche à l’intérieur du massif du Cap Morgiou dans une cavité aérienne sans communication extérieure.
Bien plus tard (été 1991), lors d’une nouvelle exploration de la grotte, Henri Cosquer découvre avec son appareil photo l’existence de peintures rupestres : la fameuse main « négative » est le premier élément d’un vaste ensemble de peintures, de gravures et d’objets que l’exploration de cette grotte va révéler.
La première mission scientifique a lieu en juin 1992 et a pour but l’observation, la recherche d’objets et de structures au sol, le prélèvement de charbons des dessins rupestres à des fins de datations et une étude géologique.
(photographie en ligne ; croquis tiré de la
publication de Clottes, Beltrán et al. 1991)
Miraculeusement, on retrouve de nombreux vestiges restés isolés dans cette cavité, parmi lesquels :
- Grotte Cosquer, reproduction d’une main humaine, datée de 27 000 ans av. n. è.
- des gravures et peintures pariétales (les parois submergées par les eaux ont été corrodées, et aucune peinture ni même gravure n’ont été conservées) ; de nombreux tracés digitaux méandriformes (sinueux) : des traces de doigts essuyées sur les parois ; des traces d’enduit de calcite pulvérulente (craie en poudre) sur les parois ;
- des boulettes de glaises (argiles) répandues sur le sol ;
- des lamelles de silex
- des tâches de cendre et de charbon (foyers de feux)
- des mouchages de torches, qui sont les traces charbonneuses laissées par l’homme préhistorique après avoir frotté les torches sur les parois pour enlever la partie carbonisée qui asphyxiait la flamme, et ainsi la raviver.
Les datations en carbone 14 sur le charbon des peintures ont confirmé deux phases d’occupation : - une première phase vers 27 000 av. n. è. : à cette période ont été attribués les milliers de tracés digitaux qui couvrent les parois calcaires. On en retrouve même sur des plafonds, qui n’ont pu être atteints qu’en escaladant certaines stalagmites. Cette phase comprend aussi 55 mains négatives, groupées près des zones vertigineuses de la grotte. Elles pourraient être des marqueurs symboliques. Ces mains sont tracées par soufflage de colorant sur la main posée sur la paroi. Des doigts sont manquants sur la plupart de ces empreintes : les « artistes » pliaient probablement leurs doigts en suivant un langage symbolique.
- Grotte Cosquer, peintures rupestres de chevaux datant de la deuxième période d’occupation, vers 19 000 av. n. è.
- La deuxième phase, entre 18 500 et 19 000 av. n. è., comprend la plupart des peintures d’animaux et des gravures : des chevaux, bouquetins, chamois, bisons, aurochs et cerfs y sont représentés, mais également des animaux plus surprenants tels que des phoques et des pingouins, attestant de la faune singulière du paléolithique supérieur. Une représentation abondante dans la grotte est une gravure de cheval à cornes de bison. La récurrence de cette gravure semble suggérer une connotation mythologique. Les autres singularités de la grotte Cosquer sont la présence de figures géométriques, inconnues dans les autres grottes préhistoriques de France, ainsi que des représentations sexuelles (de nombreuses vulves, et un phallus).
- Grotte Cosquer, peintures de mains en négatif datant de la première période d’occupation, vers 27 000 av. n. è.
La grotte Cosquer demeure la découverte archéologique du bassin Marseillais la plus marquante de l’ère préhistorique. Elle rend les kilomètres de calanques marseillaises très prometteuses en découvertes archéologiques.
B. Les coquillages de la rue Bernard-du-Bois
C’est lors d’une fouille préventive sur un terrain de 500 m² destiné à la construction d’une résidence étudiante qu’ont été découverts des vestiges d’habitation s’étalant du Mésolithique au Néolithique, et notamment des traces attestant une consommation de coquillages. La fouille se situe sur le versant sud de la colline Saint-Charles, à l’angle nord de la rue Bernard-du-Bois et de la place du même nom.
- Fouilles de la rue Bernard-du-Bois, à Marseille
De 8000 à 6000 av. n. è., la colline Saint-Charles n’était pas un site côtier comme actuellement, mais était situé à plus de 4 km de la côte. Elle était bordée par des rivières qui se jetaient dans les calanques de l’actuel Vieux-Port et de la Joliette.
Pour la période mésolithique, on y trouve les vestiges d’un campement de chasseurs-cueilleurs. Ces populations consommaient des aliments marins car de nombreux crustacés tels que des patelles, des bigorneaux et des oursins y sont exhumés.
Au Néolithique ( vers 6000 av. n. è.), les premiers paysans de ce qui va devenir la Provence occupent les lieux à leur tour. Ils consomment également des coquillages, mais plus spécifiquement ceux à coques (cardium) qu’ils utilisent également pour dessiner des ornements sur l’argile encore fraîche. Cette perpétuation de la consommation de coquillages est d’autant plus étrange qu’aucun vestige relatif à l’agriculture (meules, fosses-silos, vases de stockage, etc) ou à l’élevage n’a été retrouvé. Cette consommation exclusive de coquillages conduit à penser que les habitats de la colline Saint-Charles étaient saisonniers.
Ce n’est qu’à partir de 4000 av. n. è. que la découverte de trous de poteau et d’artefacts en céramique atteste la présence d’agriculteurs et d’éleveurs, mais qui continuent encore à consommer des coquillages.
Cette consommation de coquillages sur plusieurs millénaires est très typique de l’histoire préhistorique de la colline Saint Charles.
C. Le monument funéraire de Saint-Jean-du-Désert
En 1994, c’est lors d’un sondage préventif puis d’une fouille menée sur l’emplacement d’une future route dans le quartier qu’ont été découverts deux coffres en calcaire identiques, entourés d’un empilement sphérique de pierres, d’un diamètre d’environ 11 m.
- Fouilles des tombes jumelles de Saint-Jean-du- Désert, à Marseille, en 1994
Les fouilles ont révélé la présence de céramiques telles que des écuelles, des coupes ou des récipients sans ornements, attestant l’appartenance de cette découverte au Néolithique moyen. Même si ce monument est très certainement funéraire, aucun ossement ni dalle de couverture des coffres n’ont été retrouvés. Ils ont probablement été dégradés ou déplacés par la présence humaine ou par des éléments naturels.
Ce site funéraire est singulier pour la zone provençale et pour le Néolithique moyen. Il constitue une découverte intéressante pour la compréhension des rites d’inhumation et l’évolution architecturale des monuments funéraires.
(photographie tirée de Mellinand & Bouiron 1993)
III. Valorisation du patrimoine archéologique de l’occupation préhistorique du bassin marseillais
L’archéologie et la valorisation du patrimoine archéologique sont deux choses différentes. A l’occasion de Marseille-Provence capitale de la culture 2013, de nombreuses actions ont été entreprises pour promouvoir le patrimoine archéologique, comme par exemple la rénovation du Musée d’Histoire de Marseille, situé à proximité du Vieux-port, et la construction du MuCem, le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée. Le nouveau Musée d’Histoire de Marseille comporte une section sur l’occupation préhistorique du bassin marseillais. Nous avons rencontré deux personnes aux métiers différents, mais qui ont tous deux permis la mise en place de cette Séquence 0 sur la préhistoire au nouveau Musée d’Histoire de Marseille.
A. Ingrid Sénépart, archéologue
Ingrid Sénépart, archéologue à la ville de Marseille et chercheuse associée au laboratoire CEPAM (Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Age) du CNRS, spécialisée dans la Préhistoire et l’ethno-archéologie, a été pilote et responsable de la Séquence 0 (Préhistoire) du nouveau Musée d’histoire de la ville de Marseille. Elle fut responsable de toute la partie scientifique relative aux œuvres et aux documents pédagogiques destinés au grand public. Nous avons eu la chance de correspondre avec elle pour recueillir un témoignage sur son métier d’archéologue à la ville de Marseille.
T. S. : Bonjour Madame Sénépart. Pouvez-vous nous parler de votre vie professionnelle ?
I. S. : Je suis archéologue municipale. Je fais des recherches sur la Préhistoire récente du bassin de Marseille. Je suis chargée de faire des fouilles (préventives ou programmées) ou des prospections en Préhistoire sur la commune de Marseille, d’étudier les sites pour publication, et de la mise en valeur patrimoniale de ces sites.
T. S. : Passez-vous beaucoup de temps sur le terrain ?
I. S. : Tout dépend de l’importance des fouilles ou des prospections, cela peut aller de plusieurs mois (sites de la colline Saint-Charles par exemple) à quelques semaines (prospections). »
T. S. : Avec quelles autres professions êtes-vous susceptible d’être en contact au quotidien ?
I. S. : Je travaille avec mes collègues du service archéologique de la Ville de Marseille, mais aussi avec des collègues du CNRS, de l’Inrap ou d’autres collectivités territoriales ou organismes privés. Je collabore avec des musées, plutôt pour la mise en valeur patrimoniale des sites et de leur mobilier archéologique.
T. S. : Pourquoi avoir choisi la période Préhistorique et la ville de Marseille pour vos travaux ?
I. S. : C’est celle que je préférais. J’ai fait une grande partie de mes études à Aix-en-Provence, puis j’ai intégré les musées de Marseille et le service archéologique de la ville. Je travaille également sur une période de la Préhistoire récente (le Néolithique ancien) qui est bien représentée dans le bassin de Marseille.
T. S. : Marseille a été désignée capitale Européenne de la culture 2013. Outre les nombreux événements culturels qui ont ponctué l’année, cela a provoqué des changements urbains, comme la construction du MuCem à côté du fort Saint-Jean. Dans le cadre des réaménagements urbains, avez-vous déjà participé à des fouilles préventives ? Comment se déroulent de telles fouilles à Marseille ? Y a-t-il des tensions avec les promoteurs, surtout dans un contexte politique tel que « Marseille capitale de la culture 2013 » ?
I. S. : Dans le cadre du réaménagement et de la réhabilitation urbaine du quartier Saint-Charles, j’ai dirigé des fouilles préventives sur la colline du même nom. Dans mon cas, il n’y avait pas les enjeux de 2013. Les relations avec les aménageurs se sont très bien passées.
T. S. : Pouvez-vous nous parler des fouilles auxquelles vous avez participé à Marseille ? A quels types de problèmes êtes-vous confrontée lors de celles-ci ?
I. S. : Je suis intervenue sur plusieurs chantiers. Le plus important reste celui de la colline Saint-Charles. La difficulté tenait au fait que la Préhistoire est conservée sous les niveaux de l’Antiquité (traces agraires) et surtout sous les restes d’un bâtiment industriel de très grande ampleur construit à la fin du XVIIe siècle. On ignorait l’ampleur du site au début de la fouille. Cela nous a obligé à mettre en œuvre trois types d’opérations de fouilles différentes en fonction des périodes.
T. S. : Que pensez-vous du métier d’archéologue de nos jours ?
I. S. : L’archéologie et l’archéologue courent le risque d’être enfermés dans le cadre de l’archéologie préventive, or le métier d’archéologue est beaucoup plus complexe que cela et la fouille n’est que la première partie d’un processus souvent long de recherche. On ne fouille pas pour l’objet mais pour comprendre l’histoire humaine depuis ses origines. C’est parfois difficile à faire comprendre. C’est donc un métier difficile qui demande beaucoup d’abnégation mais procure de grandes joies.
T. S. : Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui voudraient travailler dans ce domaine ?
I. S. : D’aller le plus loin possible dans les études y compris si l’on veut faire de l’archéologie préventive, qui offre peu de débouchés à partir du Master 1. Ces formations sont des cursus généraux, et forment des généralistes, or l’archéologie n’est pas généraliste, et pour conserver intactes sa vocation et sa passion il faut avoir une spécialité, qui donne la possibilité d’évoluer, et non de rester technicien de base, ce que l’on voit de plus en plus chez les étudiants.
T. S. : Merci beaucoup Madame Sénépart pour ces informations et ces conseils concernant le métier d’archéologue.
B. Pierre Goismier, Réalisateur
Rencontré par hasard lors d’un apéritif, Pierre Goismier évolue dans un tout autre univers. Il est réalisateur indépendant, documentariste et spécialisé dans la création de spectacles audio-visuels pour des institutions culturelles. Il a travaillé en collaboration avec Ingrid Sénépart pour réaliser le court métrage Marseille avant Marseille avec le studio K, visible à la Séquence 0 du parcours du Musée d’Histoire de Marseille.
T. S. : Bonjour M. Goismier. Pouvez-vous nous parler de votre vie professionnelle ? Comment avez-vous choisi d’exercer ce métier, en particulier dans la réalisation de films documentaires ?
P. G. : J’ai toujours été passionné par l’image. Tout d’abord par la photographie. J’ai donc décidé d’en faire mon activité professionnelle. Pendant pas mal d’années j’ai surtout fait de la communication audiovisuelle institutionnelle : films d’entreprise et événementiels. Puis peu à peu j’ai réalisé des documentaires et je me suis spécialisé dans les formats spéciaux, installations vidéo, projections grandes images pour le spectacle et surtout la muséographie.
T. S. : Pour le musée d’Histoire de Marseille rénové, vous avez réalisé Marseille avant Marseille dans ce contexte, en collaboration avec l’archéologue Ingrid Sénépart, spécialiste de l’occupation préhistorique du bassin marseillais. Quelle a été votre collaboration avec les archéologues ?
P. G : Nous avons travaillé ensemble sur le scénario et le découpage du film. Selon leurs informations scientifiques, nous avons réalisé à Studio K la reconstitution en images de synthèse de la baie de Marseille telle qu’elle était il y a 15000 ans puis vers – 5000, puis - 1000. Pour les dernières périodes, nous avons reconstitué les premières habitations selon les informations données par les archéologues. Nous avons filmé quelques sites connus pour avoir été habités par l’homme, il y a 5000-6000 ans.
T. S. : A quels types d’archives et de vestiges avez-vous pu avoir accès ?
P. G. : « Nous avons utilisé les photographies faites dans la grotte Cosquer, dont l’accès est aujourd’hui limité aux chercheurs. Nous avons aussi filmé quelques objets (silex, objets tranchants, bracelets …).
T. S. : Avez-vous rencontré des problèmes durant la réalisation ?
P. G. : La réalisation des images de synthèse est très difficile car il n’existe pas de données précises pour les époques très reculées. D’autre part ce genre de réalisation prend toujours plus de temps que prévu.
T. S. : Comment a été reçu le court-métrage ? Avez-vous eu des retours ? En particulier de la part d’archéologues ?
P. G. : L’équipe du Musée est très contente du film. Les archéologues aussi. Le Musée a visiblement beaucoup de succès auprès du public. Mais il faudrait avoir un peu de recul, probablement une année d’exploitation du musée pour en avoir une bonne appréciation.
T. S. : Je vous remercie M. Goismier pour ces informations très enrichissantes qui mettent en lumière les métiers relatifs à la valorisation du patrimoine archéologique.
Conclusion
Certaines ères préhistoriques en Provence, notamment le Paléolithique supérieur, sont pauvres en découvertes archéologiques. Cette rareté peut être expliquée soit par des conditions très rudes de la Provence littorale glaciaire par rapport aux régions du Languedoc et du Vaucluse (où les sites du Paléolithiques supérieur sont abondants), ou par une mauvaise conservation et la submersion de la plupart des sites. En effet, on estime qu’actuellement, nous n’avons accès qu’à un tiers du territoire jadis disponible. Cette dernière hypothèse est appuyée par la découverte de la grotte Cosquer, immergée vers 7000 av. n. è.
À cela s’ajoute le danger des travaux actuels, qui menacent les vestiges que recèle le sous-sol marseillais, témoin de vingt-six siècles d’urbanisme continu. L’archéologie préventive permet de sonder le sol pour sauvegarder ces vestiges. C’est une mission de service public à laquelle chaque aménageur contribue, et dont l’importance est illustrée, dans le cas de la Préhistoire du bassin marseillais, par le fait que certaines découvertes emblématiques comme les vestiges de la colline Saint-Charles sont dues à ces fouilles.
C’est à l’arrivée des colons grecs venus de Phocée (aujourd’hui Foça en Turquie) par voies maritimes vers 600 av. n. è. que le nom Massalia a été donnée, et c’est ainsi que commence la riche histoire de cette singulière ville portuaire [1].
Bibliographie
Collina-Girard Jacques, « La grotte Cosquer et les sites paléolithiques du littoral Marseillais (entre Carry-le-Rouet et Cassis) », Méditerranée, t. 82, n° 3-4, 1995, p. 7-19 : accessible en ligne
Clottes Jean, Beltrán Antonio, Courtin Jean & Cosquer H., « La grotte Cosquer (Cap Morgiou, Marseille) », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 89, n° 4, p. 98-128, 1992 : accessible en ligne
Mellinand Philippe & Bouiron Marc, . Quand les archéologues redécouvrent Marseille, Paris, Gallimard/INRAP, 2013
Sartoretto Stéphane, Collina-Girard Jacques, Laborel Jacques & Morhange Christophe, « Quand la grotte Cosquer a-t-elle été fermée par la montée des eaux ? », Méditerranée, t. 82, n°3-4, 1995, p. 21-24 : accessible en ligne
Téo Sanchez,
1ère année, 2014
[1] La fondation de la ville est par exemple narrée par Justin : « À l’époque du roi Tarquin, des jeunes gens phocéens, venant d’Asie, arrivèrent à l’embouchure du Tibre et conclurent un traité d’amitié avec les Romains ; puis ils s’embarquèrent pour les golfes les plus lointains de Gaule et fondèrent Marseille, entre les Ligures et les peuplades sauvages de Gaulois (...). Et en effet, les Phocéens, contraints par l’exiguïté et la maigreur de leur terre, pratiquèrent avec plus d’ardeur la mer que les terres : ils gagnaient leur vie en pêchant, en commerçant, souvent même par la piraterie, qui était à l’honneur en ces temps-là. C’est pourquoi, ayant osé s’avancer en direction du rivage ultime de l’Océan, ils arrivèrent dans le golfe gaulois à l’embouchure du Rhône. » (Justin, Abrégé des Histoires philippiques, XLIII, 3-6).