« Étrusques, un hymne à la vie », exposition au Musée Maillol, à Paris (18 sept. 2013 - 9 fév. 2014)

Par Raphaëlle Blin

L’exposition sur les Étrusques au musée Maillol est l’occasion d’une nouvelle approche de cette civilisation après une longue absence sur la scène internationale. En effet, la dernière exposition sur les Étrusques remonte à l’année 1992 au Grand Palais et s’intitulait « Les Etrusques et l’Europe ».

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Affiche officielle de l’exposition (musée Maillol)

Sur deux étages, l’exposition du musée Maillol a été le fruit d’une collaboration entre le musée français, une équipe et une direction scientifiques en majorité italiennes. L’exposition et le thème choisi s’insèrent donc dans un parcours culturel fixé par le musée. C’est ce que dit très justement Patrizia Nitti la directrice artistique de l’exposition : « le musée Maillol, dans sa réflexion sur la culture européenne, poursuit un travail sur l’importance de notre histoire commune avec l’Italie. Avec l’exposition consacrée à l’art de vivre à Pompéi nous avions affronté un mythe. Aujourd’hui, nous proposons de découvrir avec « Étrusques. Un hymne à la vie » une ccaivilisation de l’Antiquité, fondamentale et pourtant mal connue » [1].  

Divisée en 6 salles, l’exposition part des origines de la civilisation étrusque, pour étudier la rencontre avec les autres peuples de Méditerranée, présenter les aspects culturels de la société étrusque, notamment la manière de se vêtir, de manger, de vivre au quotidien. Elle continue ensuite autour d’aspects plus conceptuels liés au culte et à la religion pour terminer sur l’arricvée de la puissance romaine et l’intégration des rites romains dans la culture étrusque.  

 I. Genèse et construction de l’exposition

A. Une collaboration privilégiée avec l’Italie

 

1. Les Etrusques, une civilisation italienne ignorée  

 

L’exposition se place donc dans une trajectoire didactique, pour d’une part montrer les liens constants avec la civilisation italienne, romaine, ici étrusque, et d’autre part permettre à un public scolaire, étudiant, curieux, de découvrir un monde et une civilisation dont la majorité des pièces principales se trouve en Italie. Et c’est en partie ce sur quoi insiste Patrizia Nitti dans son commentaire introductif [2] : les Étrusques restent une petite civilisation ignorée. Pourtant, et il faut y revenir, leurs travaux et constructions ont permis une avancée majeure dans l’Italie de leur époque : Rome utilise encore les égouts des Étrusques par exemple. Les Étrusques ont eu un rôle majeur dans les relations commerciales avec la Gaule, la Grèce, les Phéniciens à Carthage.  

 

2. Des prêteurs majoritairement italiens  

 

Cette collaboration avec l’Italie se voit dans le prestige des prêts accordés au musée Maillol : plus de 38 musées ou fondations ont accepté de prêter au musée Maillol. Sur ces 38 musées, seulement deux musées sont allemands, la Glyptothek de Munich et le musée de l’université de Wurtzbourg. Du Royaume-Uni, le British Museum seul a prêté une pièce. Une seule institution française, la Bibliothèque Nationale de France, a participé à l’exposition et aucune pièce ne vient du musée du Louvre par exemple.
Il s’agit donc bien d’une volonté de montrer au public français des œuvres qu’il ne peut voir d’ordinaire qu’en se déplaçant en Italie, dans des musées régionaux variés et dispersés. C’est donc l’occasion de rassembler des pièces, non pas du monde entier, ni de l’Europe entière, mais de l’Italie même.
Aussi, sur les 38 musées, 32 sont italiens. On retrouve certes de grandes institutions comme le musée du Vatican, le musée archéologique national de Florence, de Milan, les musées archéologiques de Rome, comme celui de l’université de la Sapienza, ou le musée Capitolin. Mais on retrouve surtout une grande quantité de musées régionaux voire locaux de plus petite envergure, sur une simple tombe, ou sur une fouille archéologique : le musée archéologique de Cerveteri, de Fiesole, de Ferrare, d’Orvieto, de Pérouse, de Vulci, de Viterbe, de Tuscania, etc.  

 

L’exposition peut donc se lire à plusieurs niveaux dès l’abord :

  • comme une simple présentation d’une facette de la civilisation étrusque, pour un public curieux de connaître une civilisation peu étudiée en France,
  • comme un compte rendu des dernières découvertes archéologiques et de l’évolution de la recherche et des théories élaborées autour de cette civilisation,
  • comme un échange culturel entre la France et l’Italie pour faire partager un patrimoine historique, artistique, archéologique européen commun.  

 

B. Un lien fort avec l’archéologie

1. Historique des découvertes archéologiques  

 

Car l’exposition est avant tout en lien avec les recherches et les fouilles archéologiques. En effet, les trouvailles étrusques proviennent principalement de tombes, fouillées plus ou moins récemment. Les premières découvertes datent du XVIe siècle : trois grandes statues de bronze sont ainsi retrouvées, une Chimère et une statue de Minerve à Arezzo, une statue nommée « l’Orateur », près du lac Trasimène. Mais c’est surtout le XVIIIe siècle qui se lance dans des fouilles de plus en plus nombreuses. Ainsi en 1750 est fondé le musée de Volterra par l’abbé Mario Guarnaci pour exposer le résultat des fouilles dans la région. Auparavant avait été créée l’Accademia Etrusca di Cortona afin d’encourager les études étruscologiques.  

Le XIXe siècle est quant à lui l’époque d’une véritable ruée vers les tombes à la recherche d’objets beaux, sans tenir compte des lieux de leur découverte. C’est l’époque de la constitution de très grandes collections en lien avec l’essor de l’activité des commerçants et des faussaires.
Mais la prise de conscience de la possession d’un véritable trésor Trésor Ensemble d’au moins deux monnaies déposées volontairement à l’endroit où il est trouvé. Les trésors sont rarement trouvés en fouilles, mais le plus souvent par hasard. archéologique est assez rapide : en 1836 on fonde le premier musée étrusque de Rome, le Museo Gregoriano Etrusco au Vatican. Les fouilles se dirigent alors vers la plaine du Pô encore inexplorée, en lien avec le développement de l’école d’archéologie allemande et des nouvelles techniques de fouilles plus rigoureuses. Cela permet au XXe siècle d’être l’époque au cours de laquelle l’étruscologie devient une science historique.
Par conséquent, les connaissances se sont accrues de manière sensationnelle dans la deuxième moitié du XXe siècle. On met au jour alors de nouvelles tombes : à Tarquinia, à Pyrgi, le port de Cerveteri par exemple. La civilisation étrusque est portée à la connaissance du public grâce à de grandes expositions archéologiques, à Zurich, Milan, Paris et Berlin entre autres.  

 

Comme le souligne Patrizia Nitti, des milliers de tombes étrusques ont été recensées sur le territoire italien, grâce en particulier aux techniques de prospection géophysique. L’exposition est donc certes un moyen de retracer l’ensemble des découvertes archéologiques dans les tombes fouillées jusqu’alors, mais aussi de donner un aperçu de la richesse potentielle des autres tombes à découvrir. Ainsi, « ces terres (étrusques) contiennent de telles richesses qu’elles nous rendent encore aujourd’hui, pour notre plus grand bonheur, des tombes splendides insoupçonnées, mais aussi des maisons, des palais et des temples dont le précieux mobilier est présenté dans cette exposition » [3], renchérit la directrice artistique du musée Maillol. Cette exposition est par conséquent l’occasion de retracer l’évolution des découvertes archéologiques au cours des cinquante dernières années.  

 

2. Une sensibilisation à la protection du patrimoine archéologique  

 

L’exposition, par la richesse des objets exposés et par leur diversité, constitue de plus une incitation à la recherche elle-même, mais permet aussi peut-être de sensibiliser un public aux moyens de découvertes et de mise en valeur d’un patrimoine parfois vandalisé.
En effet, toutes les pièces prêtées viennent de musées appartenant à des États, français, italien, allemand, du Vatican. L’exposition ne présente aucune pièce de collections particulières privées. Car le monde de la culture a longtemps souligné le problème des fouilles clandestines, malgré la loi sur la tutelle du patrimoine archéologique de 1902 qui promeut la conservation des sites évocateurs du passés et des curiosités naturelles, c’est-à-dire du patrimoine archéologique et paléontologique. Les tombes étrusques ont souvent été extrêmement pillées, par les tombaroli, les pilleurs de tombes, et malgré la vigilance de plus en plus accrue des autorités, ces derniers vivent encore de vols et de revente de faux, d’excellente facture, mis sur le marché à prix d’or. Cette exposition présente donc un autre aspect plus technique, qui insiste sur les problèmes d’authenticité des pièces, de constitution d’un patrimoine et de formation d’une collection.  

 II. Enjeux culturels et politiques de l’exposition

A. Un enjeu économique fort pour le musée Maillol

 

 

Ceci est de plus à replacer au sein même de la collection du musée Maillol, et de sa mise en valeur. Car l’exposition sur les Étrusques, par le fait qu’elle traite d’un sujet et d’une civilisation rarement étudiés et présentés en France, est l’occasion pour le musée d’un coup de projecteur qui le propulse sur le devant de la scène culturelle et médiatique. C’est ainsi un moyen de mettre en avant, outre l’exposition sur les Étrusques, les collections permanentes du musée. Et ce n’est pas un hasard si le billet d’entrée de l’exposition sur les Étrusques permet aussi l’accès aux collections permanentes du musée et à l’exposition sur Serge Poliakoff au deuxième étage. L’exposition permet donc au musée de faire découvrir les œuvres peu connues de la collaboration entre Maillol et Dina Vierny.  

Par conséquent, il y a derrière cette exposition tout un enjeu économique, financier et publicitaire. En effet, l’exposition se tient de septembre 2013 au début du mois de février 2014. De la rentrée 2013 à la rentrée d’hiver 2014, deux dates assez symboliques mais aussi stratégiquement choisies.
Le coût du prêt a dû être considérable, malgré le parrainage du ministère de la culture italien et le patronage exceptionnel des Présidents des Républiques française et italienne. Aussi, pour la préparation, le montage et l’entretien d’une telle exposition, pour les moyens publicitaires mis en œuvre, pour la constitution d’un catalogue présentant chaque œuvre de manière détaillée, le musée justifie un prix d’entrée à 13 euros et un tarif réduit ne concernant qu’un petit groupe de visiteurs à 11 euros, 11,50 euros si l’achat se fait par internet.  

 

B. Vers une démocratisation de la pratique muséale ?

1. Un public choisi  

 

Le coût élevé se traduit dans le public, malgré la volonté de démocratisation et de « vulgarisation » d’un sujet peu connu. Le musée a mis en place plusieurs nocturnes par semaine, jusqu’à 21h30, le vendredi entre autres. Malgré ces nocturnes, le public reste, en journée comme le soir, un public essentiellement de retraités, peu d’étudiants, et surtout très peu de familles, de familles nombreuses ou de groupes de jeunes venus de leur propre initiative, sans doute aux vues des prix pratiqués. Mais il faut souligner que derrière ces prix se cachent aussi un problème politique, comme indiqué sur le site en petite typographie : l’augmentation des prix est corrélative de la hausse de la TVA à 7% ou 12% selon les institutions en 2012 [4].  

 

Aussi l’exposition se situe entre une volonté de vulgarisation et de partage d’un savoir en plein renouveau, et une inconsciente sélection d’un public avec certains moyens financiers et curieux d’un patrimoine dont il a en partie déjà entendu parler. Cela pose la question de l’accès à la culture dans la société française. Comment arriver à faire d’une exposition un lieu de rencontre sociale et culturelle ?  

 

2. Un effort de démocratisation  

 

Cette exposition s’y essaie, mais il convient de souligner dès l’abord quelques détails qui ne vont pas dans ce sens : l’exposition a ceci de séduisant qu’elle présente un texte descriptif et informatif concis, clair mais suffisamment précis, thématique et organisé comme il faudra le voir par la suite. L’exposition est organisée par « mur », chaque unité thématique possédant sa couleur sur un mur, et regorgeant chacune de multiples pièces, autant dans des vitrines contre le mur, que sur des podiums au centre des pièces. Les accrochages sont variés, non monotones et les cartels renvoyant aux œuvres sont assez précis.
Mais c’est sans doute là que se situe le problème : en effet, pour une même vitrine alignant quatre statuettes, sont regroupées sur un côté, alignées, les quatre légendes, sans renvoi direct, numéroté. Comme souvent les quatre statuettes représentent quatre versions d’un même Dieu par exemple, mais dans des matériaux différents, cela oblige le visiteur à une gymnastique mentale d’attribution des légendes aux œuvres qui peut en décourager plus d’un. Le point positif est que cela concentre le visiteur sur quelques pièces qu’il regarde avec attention pour essayer d’identifier la matière, la provenance, la date, afin d’attribuer correctement les cartels. Mais le risque est celui d’une indifférence du visiteur, par un manque d’informations palpables directement, pour un esprit qui aime à se laisser aller et guider à travers une exposition, pour une mémoire sélective. Le visiteur en viendrait alors à amalgamer ces quatre statuettes comme une seule et même statuette sous la légende de « représentation du Dieu *** », empêchant à chaque statuette de s’affirmer comme une œuvre d’art à part entière.

D’autre part, et c’est le défi de beaucoup d’expositions et de musées actuels, comment organiser la scénographie d’un ensemble d’œuvres ? Il s’agit de faire face aux risques de l’ennui et de la monotonie, tout en gardant une unité d’ensemble et surtout une structuration du propos.
Or, cela devient difficile dès la deuxième partie de l’exposition. Sur le mur présentant les tendances orientalisantes des Etrusques se rattachent les outils de cuisine d’un banquet qui sont explicités dans la salle suivante sur le banquet étrusque, cela sert certes de liaison, mais pourquoi présenter alors sur le mur d’en face un magnifique éventail de femme, renvoyant au « mur » sur les femmes de la salle précédente ?  

 III. Parcours de l’exposition

A. Vie et mort de la civilisation étrusque

 

Il faut donc revenir sur le cheminement thématique de l’exposition. Cette dernière porte un nom bien précis : « Étrusques, un hymne à la vie ». La directrice artistique de l’exposition l’explique : « le choix du titre est volontairement provocateur : nous l’avons choisi avec l’idée de dépasser d’emblée la vision classique renvoyée par notre imaginaire, et de restituer aux Étrusques un des aspects fondamentaux de leur culture, injustement ignoré » [5].  

En effet, l’exposition montre à quel point la conception des Etrusques était ancrée non dans la pérennité, mais dans l’instant présent, dans la vie présente. On peut le voir entre la première et la dernière salle. La première salle présente les origines de la civilisation, avec notamment la construction des maisons, des cabanes représentées par les urnes funéraires. C’est par ce biais, par la naissance d’une civilisation à travers des urnes mortuaires, objets de cérémonie funéraires, que débute l’exposition.
La dernière pièce présente l’Étrurie sous domination romaine, avec là encore deux idées : d’une part la mise en place d’une domination romaine par la guerre, hégémonie qui annihile une culture locale de l’Étrurie, qui entraine la mort d’un certain mode de vie étrusque, et d’autre part la naissance d’un nouveau mode de vie où les cultures étrusques et romaines sont mélangées. Là encore donc se mêlent les thématiques de la vie et de la mort.
La première et la dernière salle forment donc comme un parcours circulaire, le cercle de la vie, la roue de la vie, en présentant un début et une fin qui est un nouveau début. Comme si la vie se répétait de manière inlassable, tel un cercle. Il s’agit peut-être d’une première mise en valeur de la conception de la vie chez les Étrusques.  

 

B. Les Etrusques à la rencontre d’autres civilisations

 

Mais l’exposition peut aussi se lire comme la rencontre de plusieurs civilisations : l’exposition retrace la vie étrusque à travers trois grandes rencontres : d’une part à travers le commerce qui entraîne les Étrusques vers la découverte du monde méditerranéen, les Phéniciens et les Grecs. Il s’agit donc d’une première rencontre qui justifie l’apparition d’une conception économique, financière, économique. C’est pour cela que la salle 2, lieu de cette rencontre, présente sur un mur une grande carte de la Méditerranée, des amphores grecques, phéniciennes et étrusques, des pièces de monnaie à Gorgone, des vases et pots de transports, mais aussi des objets de culture grecque et phénicienne, de formes étrangères à la culture étrusque mais présents dans les tombes étrusques découvertes : moyen de montrer une première étape de l’acculturation.
Première rencontre aussi qui justifie un excursus vers l’apparition de l’écriture et de l’alphabet étrusque, justifiés par le développement d’une économie commerciale. On trouve alors des vases avec des inscriptions de dons, des grattoirs… C’est un moyen de montrer que l’écriture est avant tout un instrument de pouvoir, qui ne concerne que l’aristocratie.
Et cela constitue de plus un lien avec la deuxième rencontre au premier étage. Car dans les salles 3 et 4, l’exposition retrace la rencontre des aristocrates étrusques avec l’Orient grâce au « mur » sur « les princes orientalisants ». Sont présentés tous les types de parures possibles, les objets de luxe mais surtout la tradition du banquet qui occupe presque toute la salle 4. C’est le moyen de montrer l’acculturation étrangère des Étrusques dans le rituel des banquets, ainsi que les mœurs concernant la sexualité des Étrusques entre autres.
Dernière étape enfin en salle 6, selon un parcours chronologique, la rencontre avec les Romains et la constitution d’une nouvelle civilisation romano-étrusque.
Ainsi ces trois rencontres symbolisent presque les trois âges de la vie de la civilisation étrusques : le développement avec la civilisation grecque et phénicienne, l’apogée avec le banquet et les mœurs, la richesse à l’orientale, et enfin le « déclin » et la renaissance avec le monde romain. On retrouve là les trois étapes de la vie, l’enfance-adolescence, l’âge adulte et la vieillesse.
Le lien entre ces trois rencontres se fait en réalité par la salle 5, sur la religion et le panthéon Panthéon Dans l’Antiquité, temple consacré à tous les dieux, par extension, ensemble des dieux. étrusques. Cette salle constitue une sorte de réunion des trois rencontres avec la présentation de dieux orientaux, grecs et romains au sein même de la religion étrusque.  

 

C. Construction du parcours thématique

 

Mais comment se déroule le parcours thématique ? En réalité, il semble aller du plus concret, la construction et l’architecture au plus intime et au plus abstrait, la religion, comme une sorte de plongée dans l’âme étrusque.
Aussi commence-t-on en salle 1 par des éléments d’architecture de palais, de villa, pour enchainer sur la construction et la décoration d’une ville, avec des exemples d’antéfixes et d’acrotères, de motifs ornementaux. La salle présente donc aussi une reconstitution d’une des tombes de Tarquinia, la plus célèbre, la « tombe du navire » présentant peints au mur deux époux allongés, mais surtout sur le côté un navire sur une mer déchainée, d’où le nom de la tombe. C’est un moyen de montrer les éléments décoratifs d’une civilisation, éléments d’aménagements externes comme internes.  

La mention de Tarquinia, à 6km de la côte, permet d’introduire l’élément marin, la notion de la ville introduit celle de port et de développement économique. D’où le thème suivant en salle 2 sur les échanges et le commerce, avec une carte de la Méditerranée, d’autant plus que la tombe du navire introduisait directement le monde de la mer. Le commerce introduit l’écriture comme on l’a vu, mais surtout, le commerce et la mer Méditerranée introduisent la notion de voyage et de découverte d’autres civilisations. C’est pour cela que la salle 3 présente les princes orientalisants. C’est l’occasion de découvrir les luxueux ornements d’un monde riche et élégant. En particulier, l’exposition présente un magnifique bouclier en bronze de 92 cm de diamètre, exposé dans une vitrine unique, le mettant ainsi bien en valeur. Cette pièce est conservée à Rome, au musée national des Etrusques de la Villa Giulia et elle a été découverte à Narce [6]. A partir d’un umbo central, le bouclier se décline en cercles concentriques de décorations réparties en motifs figuratifs schématiques de quadrupèdes courants, de chevaux, de petits ronds. Il est intéressant d’observer la précision du travail, pour constater que ce bouclier n’était en réalité pas utilisé dans les combats, mais était réservé à la sphère funéraire ou pour un usage exclusivement cérémoniel, de parade. Il était la manifestation du haut rang de la personne qui l’exhibait.  

Toutefois, ce « mur » sur l’Orient étant en partie tourné vers le monde masculin, le mur d’en face, dans la salle 3, présente le rôle des femmes dans la civilisation étrusque. En effet les femmes ne semblent pas comme dans les autres civilisations confinées au gynécée, elles sortent et paraissent disposer d’un certain pouvoir. C’est donc l’occasion d’exposer les différentes parures et bijoux des femmes étrusques que l’on a retrouvés dans les tombes.
En particulier, cela permet à travers le banquet de montrer les relations sociales entre les hommes et les femmes, et de montrer à travers cela le mode de vie quotidien des étrusques et leurs mœurs. Cela explique les deux parties sur « le banquet à l’époque archaïque » et « la céramique à figures noires et à figures rouges », montrant la culture et le savoir-faire étrusques.  

Mais surtout, cela justifie la vitrine sur « l’Éros », montrant à travers les vases et coupes étrusques les pratiques amoureuses et sexuelles de cette civilisation, et la liberté de ton avec laquelle ils traitaient de ce sujet.
Cette mention de l’Éros offre deux liaisons possibles : d’une part dans la même vitrine, cela permet un lien direct avec le corps, donc le sport, comme moyen d’entretenir son corps, d’où des vases sur les pratiques sportives des Étrusques. D’autre part, cela offre une association d’idées entre l’Éros et Thanatos, ce qui rajoute une dimension psychologique à l’exposition, avec l’ensemble de vitrines sur « le banquet dans l’au-delà ».  

Cette mention de la mort et de l’au-delà introduit bien sur à l’un des sujets les plus intimes de la civilisation, la religion, qui se concentre dans toute la salle 5. On y retrouve d’un côté les ex-voto, de l’autre le panthéon des dieux étrusques, avec un mélange des dieux carthaginois, c’est-à-dire phéniciens, des dieux grecs, orientaux et romains.
La toute dernière salle plonge dans l’inconscient des Étrusques, avec la mention des relations avec Rome, entre rejet, acculturation, soumission et collaboration. Cet aspect n’est pas spécifiquement pris en compte à l’aide de faits historiques, mais bien plus dans l’analyse de l’évolution artistique des sculptures étrusques, reflétant la prise en compte de nouvelles normes progressivement, les normes romaines.  

 

D. Quelques sites archéologiques

 

Parallèlement à ce cheminement thématique, l’exposition s’arrête sur certains sites archéologiques fouillés dont elle aimerait souligner l’importance et la richesse archéologiques : c’est le cas des sites de Tarquinia, Chiusi, Véies, Orvieto, Vulci, Cerveteri entre autres. Un court texte présente alors le site, son importance, son apport, ses spécificités, en rapport souvent avec le thème présenté sur le mur devant lequel est présenté le site. Ainsi Véies est mis en rapport avec la production de terres cuites, en particulier d’ex-voto.
Et surtout, l’exposition consacre une petite pièce pour la tombe du Navire à Tarquinia. Cette tombe a été découverte en 1958. Conformément aux conceptions de l’époque en terme de conservation, les peintures ont été tout de suite détachées des murs pour être exposées dans de bonnes conditions au musée archéologique de Tarquinia. Outre son intérêt culturel, artistique concernant les décorations des tombes et les conceptions des Etrusques quant à la vie et à la mort, cette petite pièce de reconstitution de la tombe de Tarquinia est la preuve directe du travail de l’archéologue, du conservateur, ainsi que du commissaire de l’exposition, qui tous s’allient afin d’assurer la sauvegarde d’un patrimoine, sa conservation et enfin sa valorisation. Cette pièce présente donc un double aspect : un témoignage des pratiques artistiques, culturelles et sociales d’une civilisation et une présentation efficace en filigrane des métiers du patrimoine.  

  Bilan : vers une lecture symbolique ?

 

Par conséquent, il est intéressant de s’attacher au parcours thématique des vitrines de l’exposition. Celui-ci est la conséquence d’une réflexion scénographique poussée en rapport avec la conception directe de la vie dans la civilisation des Étrusques. Outre les lectures archéologique, pédagogique, didactique et européenne que l’on peut faire de l’exposition, se dévoile par l’analyse de la progression thématique une lecture beaucoup plus philosophique et psychologique de l’exposition en rapport avec son titre.
Ce dernier remplit donc son contrat d’adéquation avec le contenu et le but de l’’exposition de plusieurs manières :

  • hymne à la vie en rapport avec les trouvailles archéologiques qui renvoient principalement à des tombes, c’est à travers le matériel funéraire et les tombes que l’on arrive à comprendre la vie des étrusques ;
  • hymne à la vie en rapport avec le fait que l’exposition dans un but pédagogique présente la manière de vivre des Étrusques depuis leur origine jusqu’à l’arrivée de l’hégémonie romaine ;
  • mais surtout hymne à la vie dans la constitution même de l’exposition qui en elle même représente le parcours de la vie de toute une civilisation, l’exposition agissant presque par le moyen d’une personnification de la civilisation étrusque : une naissance, trois âges, une mort mais surtout une renaissance cette fois-ci éternelle grâce à l’exposition.
    Autrement dit, l’exposition fonctionne comme une mise en abyme du processus vital en lui-même : après l’exposition du Grand palais, une nouvelle naissance avec l’exposition du musée Maillol, une vie de 6 mois, qui entraîne une renaissance de la civilisation des Étrusques auprès du public français et au sein de la recherche.  

  Bibliographie

 

Boitani Francesca & Moretti Sgubini Anna Maria (dir. de pub.), Etrusques. Un hymne à la vie, Gallimard/Fondation Dina Vierny-Musée Maillol, Paris, 2013  

« Les Etrusques, un hymne à la vie », Archéologia, n° 153, sept. 2013  

« Les Etrusques », Les Dossiers d’Archéologie n°175, oct. 1992 (à l’occasion de l’exposition parisienne de 1992)  

Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF, Paris, 1991  

Nicolet Claude, Rome et la conquête du monde méditerranéen, t. 1 : Les structures de l’Italie romaine, PUF, Paris (coll. Nouvelle Clio), 1987

Raphaëlle Blin,
1ère année, 2014


[1] Cf catalogue de l’exposition, p.9.

[2] Cf catalogue de l’exposition, p. 9-11.

[3] Cf catalogue de l’exposition, « Introduction ».

[4] Cf le site du musée Maillol.

[5] Cf catalogue de l’exposition, « Présentation par la commissaire de l’exposition ».

[6] Cf catalogue de l’exposition, p. 86.